Convocation de la Convocation 2

A la fin octobre avait aussi lieu la Convention de la Convocation des Églises épiscopales en Europe qui se tenait cette année à Clermont-Ferrand dans le centre de la France. Clermont-Ferrand est une ville assez difficile d’accès car elle se trouve dans les montagnes et l’aéroport est mal desservi. Il faut prendre un vol vers Paris ou Lyon puis prendre le train. Cette situation un peu ennuyeuse m’a cependant permis de faire un détour pour rencontrer les églises épiscopales en Belgique : All Saints’ à Waterloo et la mission francophone de St. Esprit à Mons. 

All Saints’ Waterloo

J’ai beaucoup apprécié rencontrer les membres anglophones de la communauté de All Saints’ dont beaucoup sont des américains ou des anglais qui sont venus en Belgique pour travailler dans les industries locales et qui y sont restés. Certains Belges se sont aussi mêlés à la congrégation. Après avoir visité le champ de bataille de Waterloo, Rev. Sunny et moi sommes allés en voiture jusqu’à Mons où se retrouve une fois par mois la communauté francophone du St. Esprit. St. Esprit est officiellement une mission depuis 2019 et se rassemble depuis dans différentes chapelles mises à disposition ou louées à l’évêché catholique. Balthasar en est un des principaux leaders laïcs. C’est une communauté composée principalement de réfugiés venus du Burundi et d’autres pays d’Afrique équatoriale. Le français est la principale langue qu’ils utilisent pour la liturgie et les chants, mais certains chants sont aussi en aussi en kirundi qui est une des langues parlées par une bonne partie de l’assemblée. La passion pour la mission de la Rectrice de All Saints’, Rev. Sunny qui est aussi en charge de la mission de Mons m’a beaucoup touchée. Elle a prêché, en français, un sermon très authentique qui encourageait les fidèles dans leur exil à continuer à soutenir ceux restés au pays, ce qu’ils font présentement en participant au financement d’une ferme au Burundi.

La Ville de Mons en Belgique
La Révérende Sunny a célébré et prêché à St. Esprit, Mons. La communauté loue une nouvelle chapelle dans un ancien couvent.

Je suis toujours admiratif des personnes qui, comme la Rev. Sunny, se donnent pleinement pour servir leurs frères et soeurs et qui osent s’exposés de manière vulnérable et authentique, en prêchant dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle. Après le service, les membres de l’église partagent en général un repas et c’était pour moi l’occasion de discuter un peu avec eux et de les encourager dans leur mission (et d’être surtout encouragés par eux!) en leur partageant aussi les salutations de l’Église française de New York : la seule autre église placée (en français!) sous le patronage du St. Esprit et aussi fondée par des réfugiés il y a bientôt 400 ans. Le témoignage de la petite église de St. Esprit de Mons, est, dans les difficultés un encouragement pour nous tous. 

La Cathédrale de Clermont-Ferrand qui date du Moyen-Âge et du XIXe siècle est construite en pierres volcaniques ce qui lui donne sa couleur noire si caractéristique. Elle possède aussi un magnifique ensemble de vitraux des XI-XIIe siècles. Un paroissien de Christ Church m’a gentiment conduit dans une visite guidée très détaillée de la vieille ville.

Après ce petit détour vers la Belgique, je suis allé à Clermont-Ferrand pour la Convention qui portait sur le thème de l’accueil des réfugiés par nos églises. Une fois de plus ce qui en est ressorti pour moi est la vocation missionnaire de l’Eglise, qui existe, comme le disait William Temple, principalement pour le bénéfice de ceux qui lui sont extérieur. Sans cela, l’Eglise risque de devenir un club social, et ceci est un danger particulièrement réel pour des églises fondées par des expatriés qui pourraient rechercher dans l’Eglise un espace d’entre-soi. Je crois que l’Eglise peut être à la fois un espace accueillant où chacun peut se sentir valorisé pour ce qu’il ou elle est (et cela commence par valoriser leur culture, leur langues et parfois même leur religion si elle n’est pas la même que la nôtre !) sans pour autant avoir une conception exclusiviste ou exceptionaliste de cette culture. Dans la tradition anglicane, Anglais et la culture britannique ou américaine ont du fait de la colonisation et de l’expansionnisme américain été considérés comme les vecteurs de la sacralité. L’histoire des églises anglicanes au XXe siècle a été celle d’une lutte pour l’appropriation, l’inculturation de cet héritage anglo-saxon dans des cultures différentes, donnant souvent naissance à des communautés multilingues et multiculturelles, véritables reflets de ce qu’est l’Eglise de Dieu. Tel est le cas par exemple de l’Eglise anglicane de Maurice où l’Anglais, le français et le créole sont utilisés dans les services.

Safak Pavey, from the UN, speaking about the role of faith-communities in the welcome of refugees worldwide.

Le commandement du Christ ressuscité à cet égard est clair lorsqu’il s’adresse à ses disciples qui sont tous juifs en disants : “Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et enseignez-leur à observer tout ce que je vous ai prescrit. Et voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.” (Matthieu 28:19-20). Pour nous cela veut dire je crois que nous ne devons pas nous regarder d’abord nous-mêmes quand nous voulons suivre le Christ, nous devons regarder aux besoins de ceux qui nous entourent où nous nous trouvons présentement. Nous ne pouvons pas nous réfugier dans l’idée que nous ne sommes là que pour un certain type de personnes, qui parlent notre langue maternelle et partagent notre culture. Si nous prenons au sérieux les paroles du Christ, l’Eglise ne peut pas être un club culturel. Nous devons être prêts à sacrifier même nos cultures humaines pour étendre le Règne de Dieu, pour annoncer la bonne nouvelle à ceux qui sont loin et à ceux qui sont proches. 

A la Convention j’ai aussi eu le plaisir de rencontrer (enfin!) en personne des représentants de la délégation géorgienne. Depuis quelques années maintenant la Mission  St. Nino offre à Tbilissi en Géorgie des services en anglais et en géorgien. Elle attire des familles anglophones qui vivent en Géorgie mais aussi beaucoup de Géorgiens qui trouvent dans l’Eglise épiscopale une église ouverte et traditionnelle, d’ailleurs présentement la seule église en Géorgie qui accepte et accueille pleinement les personnes LGBT.  Thoma Lipartiani qui est le leader laïc de cette communauté. 

https://www.facebook.com/pages/category/religious-organization/Episcopal-Congregation-in-Tbilisi-Republic-of-Georgia-Anglican-Communion-1698144016912217/

A la Convention, Thoma a présenté une motion pour que Ilia Chavchavadze soit reconnu comme saint par l’Eglise épiscopale à la prochaine Convention générale. 

La Convention s’est conclue le dimanche par un service à la petite église épiscopale Christ Church de Clermont Ferrand. C’était un plaisir d’y rencontrer des membres de cette congrégation qui rassemble des Américains (souvent venus travailler à Clermont-Ferrand au siège de l’entreprise Michelin), des anglais, ainsi que des Auvergnats et des personnes d’autres coin du monde, dont des réfugiés, qui ont tous trouvé dans cette communauté un foyer.  La petite communauté s’est beaucoup donnée pour préparer la venu de la Convention malgré l’absence de prêtre en charge en ce moment. Leur accueil était remarquable et m’a donné envie de revenir à Clermont-Ferrand dès que possible !

La délégation de St. Paul à la Convention de la Convocation.

L’école de l’abandon

Voici le sermon que j’ai prêché dimanche dernier (deuxième dimanche de Pâques) à l’église St. Paul dans les murs. Le vendredi 22 avril était le Jour de la Terre.

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Une planche de Metamorphosis insectorum Surinamensium, 1707, par Maria Sibylla Merian.

La naissance des sciences naturelles, en particulier l’étude des insectes et des amphibiens, a vu le jour en Europe du Nord au XVIIe siècle. Une grande partie des fondements des sciences naturelles a été développée par des chrétiens courageux et fervents. Façonnés par leur méditation et leur prière profondes et intimes, ils ont appris à discerner l’œuvre et la volonté de Dieu dans le monde naturel d’une manière peu conventionelle. À l’époque, on savait peu de choses sur ces créatures si particulières qui semblaient habiter différents règnes du vivant : par exemple, les mouches qui avaient pour origine des vers ou des grenouilles qui commençaient leur vie comme des têtards ressemblant à des poissons.

Maria Sibylla Merian a été l’une des principales naturalistes de l’époque dont le travail a été salué comme précurseur dans le domaine de l’écologie. À 13 ans, Maria Sibylla a commencé à élever des vers à soie. À l’âge de 28 ans, elle avait publié son premier livre d’illustrations naturalistes. Merian allait devenir une illustratrice de premier plan, publiant des volumes de planches sur les chenilles, les insectes et les plantes. Ses illustrations ne sont pas seulement de véritables œuvres d’art et des études pionnières sur les insectes, mais elles sont aussi des louanges silencieuses à son Seigneur Jésus-Christ. En fait, elle s’est particulièrement concentrée sur l’étude des différentes étapes de l’évolution des papillons qui imitent la vie du Christ et la croissance spirituelle de tous les disciples du Ressuscité. Comme un papillon, notre Seigneur a commencé son humble vie près de la terre comme un humain, comme un ver; il a aussi gît mort dans la tombe comme dans une chrysalide ; puis, il a émergé pour s’envoler comme un papillon qui scintille vers le ciel, ou vers sa Galilée.

La coïncidence de Pâques et de l’équinoxe de printemps dans l’hémisphère nord est un timing tout à fait parfait. Le Bon Dieu dans sa providence sait nous parler à travers ce que nous pouvons vivre, pourtant notre lecture de ce matin nous dit que tout le monde n’avait pas pu voir le Ressuscité et croire en lui. Pourquoi quelqu’un comme Thomas, qui était un proche disciple du Christ, n’a-t-il pas pu croire en lui dès le début ? Mais quelqu’un comme Merian l’aurait pu ? Tout comme Thomas au début de notre lecture de l’Evangile, croire pour beaucoup signifie être sûr de d’une information. Croire se rapporte à un énoncé de vérité, et pour être sûr que quelque chose est vrai, vous avez besoin d’autant d’éléments de preuve que nécessaire. Cette attitude est devenue le modèle de la science moderne : les scientifiques construisent des théories véridiques en rassemblant des déclarations véridiques. Ils établissent, petit à petit, ce qui est vrai. Ce processus intellectuel est très efficace, mais il ne parvient toujours pas à traiter les êtres vivants comme de véritables êtres vivants. C’est la même différence qui existe entre connaître quelqu’un et l’aimer. Comment peut-on vraiment connaître nos enfants, nos partenaires, nos amis ou nos voisins si on vient vers eux avec des attentes autoritaires sur la façon dont ils sont censés être en vie pour nous ? Comment pouvons-nous connaître le ressuscité si nous le forçons dans nos méthodes et processus d’objectivation ? A être ceci ou cela ? Avec cette attitude basée sur la preuve, que Thomas incarne, il reste très peu de place au mystère. Très peu de place est laissée pour laisser le Christ entre librement en relation avec nous et nous lie les uns les autres ; très peu de place est laissée pour rencontrer la vérité au-delà de ce que nous avons fixé comme limites : « Si je ne vois pas la marque des clous dans ses mains, et ne mets pas mon doigt dans la marque des clous et ma main dans son côté, je ne croirai pas. « 

Heureusement, croire en Jésus en tant que Ressuscité ne fonctionne pas de la même manière qu’une enquête policière ou une étude scientifique moderne. C’est assez rassurant si, comme moi, vous n’avez jamais été fan de NCIS ou ne savez pas compter ! Nous n’avons pas à nous soucier d’un processus ou d’une méthode qui, le plus souvent, ne fait que révéler notre désir de contrôler et d’exercer un pouvoir sur ce que nous ne connaissons pas et qui nous fait donc peur. En effet, ce qui nous retient souvent de croire au Ressuscité, tout comme pour les disciples enfermés dans leur chambre et pour Thomas, ce sont les peurs. Nous sommes retenus par peur d’expérimenter comment cette rencontre pourrait nous changer ; par peur de voir Dieu dans des endroits où on ne voudrait pas qu’il se montre ; par peur de voir la réalité de l’amour et du devouement de Dieu qui désarme toutes nos tentatives de contrôle de nous-mêmes et des autres. Nous n’avons pas besoin de nous soucier de construire la vérité pour être rassurés. Pour nous, chrétiens, croire ne signifie pas rassembler des éléments de vérité sur Jésus comme Thomas le suspicieux voulait le faire. Plutôt, à la manière de Sibylla Merian, croire pour nous signifie rencontrer la puissance de Dieu à même sa Création, dans les multiples gestes qu’il nous adresse, les façons dont il nous courtise, comment il nous révèle les signes vivants de sa présence et de sa vie dans nos vies .

Si Merian a été capable de voir la résurrection et la vie de Dieu dans des endroits inattendus, c’est parce qu’elle s’est totalement abandonnée à son Seigneur lorsqu’elle a quitté sa ville natale en Allemagne pour la communauté religieuse des Labadistes aux Pays-Bas. Elle est partie courir après sa passion comme après des papillons. Elle s’est débarrassée de sa peur et s’est abandonnée à la présence aimante du Seigneur qu’elle a rencontrée dans sa création et son église. Tout comme pour les premiers disciples et pour Thomas, seule la paix vivante du Christ peut nous libérer de nos prisons intérieures et de nos tentatives de contrôle, qui mettent Dieu sous clef, loin de nous. On peut douter des idées, on peut douter des informations, mais on ne peut douter longtemps de la réalité d’une rencontre qui nous libère. On ne peut pas douter de ce dont on voit l’effet dans notre monde, dans nos vies, dans nos corps. On ne peut pas douter d’une rencontre qui a donné vie, joie et courage aux abattus et aux marginalisés.

La résurrection de Christ et nos propres résurrections peuvent être difficiles à comprendre. Nos doutes peuvent être plus forts que notre certitude. Mais Jésus, comme le printemps, comme le papillon sorti de sa chrysalide, continue de se montrer quoi qu’il arrive. Il est impatient que nous le touchions et que nous le voyions, car ce faisant, on reçoit cette paix que nous espérons, cette paix qui vient quand la mort n’a pas gagné. N’hésitons pas à nous abandonner à sa présence qui nous entoure, à travers les signes de son amour qui sont marqués sur sa création, ces signes que Merian a si bien vus. Jésus lui-même a sanctifié sa création pour nous aider à sentir, voir, goûter et savoir qu’il est ressuscité, que l’impossible est possible. Marie Madelaine l’a trouvé dans le jardin, nous l’y trouverons aussi. S’abandonner au Christ ne signifie pas s’éloigner de la réalité, être loin des choses ou des personnes: c’est par les choses, c’est par les gens qu’on croit en Dieu ; c’est à travers eux que nous nous abandonnons à lui et trouvons le courage d’aller de l’avant. Nous n’avons pas besoin de regarder plus loin que les arbres en fleurs juste devant ces fenêtres pour voir ses glorieuses plaies. Nous n’avons pas besoin d’aller plus loin que cet autel ce matin, pour recevoir son corps et son sang pour nous aussi être métamorphosés en lui. À travers tout ce qui nous entoure, le Christ s’abandonne à nous pour que nous puissions nous abandonner à lui.

Maria Sibylla Merian avait compris cela lorsqu’elle voyait la résurrection chaque fois qu’elle illustrait un papillon sortant de sa chrysalide ou une mouche se transformant de larve en pupa. Sa rencontre avec le Ressuscité dans l’étude de ses créatures lui a donné une passion et un courage outre-mesure. Ses volumes de croquis comprenaient très peu de mots et elle écrivait rarement sur sa foi. Cependant, devant l’un de ses carnets de croquis, elle a écrit deux mots simples en allemand : « Mit Gott« , « Avec Dieu ». Avec Dieu. Osons voir le monde avec Dieu, pour pouvoir nous métamorphoser avec Lui.

P.S. J’ai toujours eu un faible pour les papillons et les insectes (j’élevais des phasmes quand j’étais petit!) mais ce n’est pas avant 2014 que j’ai entendu parler de Merian. J’ai été fasciné par sa vie il y a quelques années lorsque je faisais mon Master en littérature française à la Sorbonne. Je faisais alors des recherches sur la poésie dévotionnelle de l' »Église du Seigneur », une communauté piétiste bilingue qu’elle avait rejointe aux Pays-Bas. J’ai été alors frappé par les similitudes entre la vie spirituelle de cette communauté et son propre travail de scientifique et d’artiste. Cela m’a conduit à partager les résultats de mes recherches lors de la Conférence internationale et interdisciplinaire organisée à Amsterdam en 2017. L’aspect dévotionnel de la recherche scientifique est généralement peu connu du grand public, pourtant je pense que c’est un témoignage important à méditer, une bonne nourriture pour la prière, si nous voulons être des intendants fidèles de la Terre que notre Seigneur nous a confiée.

Relevés des ruines

Voici  une traduction du sermon que j’ai prêché en anglais à la Vigile de Pâques à l’église St. Paul dans les Murs.

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Paul Nagai, un médecin japonais décédé lentement d’une leucémie après la destruction nucléaire de sa ville de Nagasaki dans un éclat de lumière, le Dr Nagai, raconte comment il a entrevu l’immortalité dans le dernier regard de sa mère mourante. Il étudiait alors la médecine, il était matérialiste, comme la plupart de ses camarades. Quand soudain, devant ce mystère, devant le regard de sa mère si présent de lumière et d’amour, il fut secoué jusqu’au plus profond de son être, se disant : « Il n’est pas possible qu’un tel regard soit condamné à la mort. »

Dans le regard de sa mère mourante, le docteur Nagai, il a vu que l’éternité et la résurrection sont notre vraie réalité. C’est ce que signifie pour nous la résurrection du Christ d’entre les morts : quand nous aimons, même la mort ne peut nous contenir. Ce mystère que Nagai a entendu et qui l’a amené à devenir chrétien est un reflet du mystère de l’amour de Dieu pour nous quand nous souffrons ou mourons. Dieu a été si constamment présent avec nous comme nous venons de l’entendre dans la Bible, si constamment présent dans nos souffrances et nos infidélités que nous ne pouvons qu’être ébranlés par la réalité que ni nos souffrances les plus profondes ni notre mort n’ont pu l’empêcher d’être proche de nous . Lui seul peut, dans ces lieux où l’on ne voit qu’imperfection, déchéance, abus et solitude, lui seul peut, dans ces lieux où l’on ne veut pas aller et que l’on rejetter totalement, pénétrer et les transformer intérieurement par sa vie divine. Lui seul peut nous ramener avec lui au pays des vivants.
Cette nuit est la nuit où nous savons et expérimentons plus que tout autre moment de l’année liturgique que notre Seigneur est celui qui nous ressuscite des enfers que nous avons créés et ceux dont nous avons hérité. Cette nuit, le Christ nous réveille tendrement de notre sommeil mortel pour vivre à nouveau avec lui. Sa lumière ne monte pas comme un champignon atomique, elle ne nous force pas à la reddition. Elle nous vient tendrement dans les paroles de l’Exultet qui résonnent dans ce sanctuaire obscur, elle nous vient à la lumière du cierge pascal et des eaux vives versées sur le front des baptisés, elle nous vient comme l’Esprit de Dieu coule, piano ma lontano. Prenons un moment pour contempler la puissance et la tendresse de sa résurrection.

Nous allons bientôt renouveler ensemble nos vœux de baptême en Christ. Ces paroles que nous allons prononcer ne sont pas une formule religieuse mais notre déclaration d’amour à Dieu faite avec ces mêmes paroles qu’il nous a données. Nous réaffirmerons avec les paroles de notre bouche notre baptême en Jésus-Christ, nous sentirons sur nos lèvres combien nous sommes un avec lui. Nous ferons l’expérience de la façon dont il place tendrement sa puissance sur nos lèvres et entre nos mains, comment nous participons à sa résurrection et à ses promesses pour la vie du monde. Le Christ « nous renouvelle » cette nuit « dans son amour » comme vient de le dire le prophète Sophonie, et toute notre joie à chaque instant de cette année, toutes nos prières, tous nos remerciements et notre communion, même toutes nos pénitences découleront de la résurrection présente de notre Seigneur. Toutes les paroles que nous lui adresseront répondront à sa résurrection éternelle à laquelle nous participons : « Ô Israël ! Réjouissez-vous et exultez de tout votre cœur ! » Ce soir, nous avons été réveillés par le battement de son cœur ressuscité qui ne se taira plus.

Immédiatement après la destruction de la cathédrale catholique de Nagasaki, Paul Nagai, avec ses frères et sœurs chrétiens, se sont mis à l’oeuvre pour redresser avec une grue les cloches de la cathédrale qui étaient tout ce qui restait de cet édifice détruit par la bombe atomique. Ils les ont hissé et les ont fait chanter dans la nuit, à genoux dans un champ de ruines. Comme les cloches de Nagasaki, les cloches qui sonneront pour la résurrection de notre Seigneur ne célébreront pas la perfection ou la pleine restauration de ce monde. Elles chanteront pour la résurrection de notre Seigneur. Dans ce monde brisé, elles chanteront l’humble lumière du cierge pascal et sonneront comme les cloches de Nagasaki qui n’ont pu être condamnées à mort.

Never Give Up: The Bells of Takashi Nagai

+ La Settimana Santa +

Voici quelques photos des célébrations de la Semaine Sainte à Rome. Il est difficile de résumer ou d’expliquer ce que l’on ressent en étant à Rome pour cette semaine très spéciale au cours de laquelle nous sommes tous invités à participer, grâce à la liturgie de l’Église, à la mort et à la résurrection de Notre-Seigneur. L’Esprit intercède durant cette Semaine de manière très intime, avec des soupirs souvent trop profonds pour être exprimés.

+ Le Dimanche des Rameaux+

La Semaine Sainte a commencé à St. Paul par une procession oecuménique organisée avec nos frères et soeurs Catholiques et Orthodoxes roumains.

+ Le Lundi Saint +

Peut être une image de texte
Le Lundi Saint le Centre Anglican a organisé une veillée de prière oecuménique. Ce moment de prière nous a permis d’entrer dans le mystère de cette très sainte semaine.

Vous pouvez regarder une vidéo du service en cliquant sur le lien suivant : https://fb.watch/cJ0ocXW0Sv/

+ Le Mardi Saint +

Le mardi saint, une Messe chrismale a été célébrée à l’église anglicane All Saints’ sur la Via del Babuino. All Saints’ est la paroisse de l’Église d’Angleterre à Rome. L’évêque Hamid a célébré et l’archevêque Ian Ernest, directeur du Centre anglican, était également présent. De nombreux membres du clergé du Diocèse Anglican en Europe étaient également présents pour renouveler leurs vœux d’ordination.

Vous pouvez regarder le service sur la page Facebook de l’église anglicane All Saints’.

https://www.facebook.com/allsaintschurchrome

+ Le Mercredi Saint +

Un service de Ténèbres s’est tenu à St. Paul’s mais j’ai été tellement happé par cette ambiance de prière que je n’ai pas pris de photo..!

+ Le Jeudi Saint +

Le Jeudi Saint, nous avons célébré le dernier repas de Notre-Seigneur à Saint-Paul avec le rite du lavement des pieds. À Rome, le Giovedi Santo, il est également de coutume de visiter autant d’églises que possible car elles sont ouvertes jusque tard dans la nuit pour que les visiteurs prient auprès de leurs reposoirs.

Ci-dessous, vous verrez une photo des neuf églises (!) que j’ai visitées ce soir-là avec mon colocataire Edoardo. Edoardo est romain et savait exactement où aller pour voir les plus beaux reposoirs ! J’ai particulièrement apprécié l’autel de la Santissima Trinità dei Pellegrini. Le reposoir du Jeudi Saint (sepolcri en italien et altar of repose en anglais) est l’une de mes dévotions préférées pendant la Semaine Sainte. Je suis particulièrement touché par leur atmosphère d’abandon paisible créée par les plantes, les fleurs et les lumières des bougies.

“Non pas ce que je veux mais ce que tu veux »

Santissima Trinità dei Pellegrini
The Venerable English College
Santa Maria Maggiore
Santa Caterina a Magnanapoli
Sant’Agnese
Sant’Ignazio

+ Le Vendredi Saint +

Le Vendredi Saint, St. Paul organisait un chemin de croix bilingue (Anglais-Espagnol), suivi par la liturgie du Vendredi Saint. Vous pouvez visionner la liturgie ci-dessous.

Deuxième dimanche du Carême

Sermon prêché à St Paul-dans-les-murs, Rome

Genèse 15:1-12, 17-18

Psaume 27

Philippiens 3:17-4:1

Luc 13:31-35

Pendant le Carême, nous sommes dans un cheminement qui nous permet de considérer les choses avec un regard neuf. Les changements dans la liturgie et les nouvelles disciplines que nous sommes invités à adopter nous aident à refonder notre foi en Dieu plutôt que dans nos habitudes ou nos réponses toutes faites ; surtout les religieux ou cliquaires. Le Carême est un temps où nous sommes tous invités à reconsidérer notre façon de penser et de vivre notre appartenance les uns aux autres et à Dieu. Pour nous, ici à Saint-Paul, le Carême implique également de reconsidérer les liens de fraternité chrétienne qui ont été mis à rude épreuve pendant cette pandémie. Au cours de notre cheminement de Carême, notre sentiment d’appartenance sera redéfini et affiné par la présence rédemptrice du Christ et l’expérience de notre communion avec lui et les uns avec les autres.

L’Évangile d’aujourd’hui nous invite à jeter un nouveau regard sur notre mission de chrétiens et d’Église en écoutant le Christ parler de sa propre mission de guérison et de réconciliation. Écoutons le Christ répondre à un groupe de pharisiens qui s’approchent de lui pour lui dire qu’Hérode veut le tuer : « Écoutez, je chasse des démons et je fais des guérisons aujourd’hui et demain, et le troisième jour j’achève mon travail. Pourtant, aujourd’hui, demain et le surlendemain, je dois être en route, car il est impossible qu’un prophète soit tué en dehors de Jérusalem. Sa réponse peut sembler étrange à nos oreilles car il semble dire qu’il doit faire deux choses en même temps ; guérir et entreprendre un voyage à Jérusalem. Il suggère qu’il rythme ses actes quotidiens de guérison parallèlement à son voyage quotidien vers Jérusalem, vers sa Croix. Pour Jésus, en effet, « chasser les démons », « faire des guérisons » et accomplir la volonté de son Père – qui consiste à mourir sur la Croix – c’est la même chose. Le voyage, la guérison et la Croix ne font qu’un. L’image de la poule que Jésus utilise pour illustrer sa relation avec nous véhicule à la fois le sens de la protection maternelle et l’idée de sacrifice, car une poule se laisserait manger pour protéger ses poussins. Pour Jésus, être pleinement consommé à la fois dans l’amour et le service pour Dieu et aussi pour ses frères et sœurs, c’est exactement la même chose.

Il en est de même pour nous. Nous ne pouvons pas être en communion avec Dieu si nous n’aspirons pas à être en communion avec tous et l’ensemble de la Création. Nous ne pouvons pas être en communion avec Dieu si nous ne sommes pas particulièrement attentifs aux infirmités et aux souffrances de nos frères et sœurs sur notre chemin. Nous ne pouvons pas appartenir à Dieu si nous n’appartenons pas en même temps les uns aux autres. Nous ne pouvons pas appartenir à Dieu si nous ne sommes pas conscients dès le départ que notre vraie réalité est celle de la communion, et que cette communion est aussi un chemin de croix. La communion, et la communauté chrétienne qu’elle nourrit, n’est pas un projet humain : c’est un don de Dieu qui exige notre réponse d’amour. Si de nombreuses puissances maléfiques peuvent détruire et conquérir nos cœurs et nos esprits, c’est parce qu’elles nous inculquent l’idée que ce genre de communion n’existe pas. Ils nous rendent indifférents non seulement à nos propres souffrances, mais aussi à la souffrance des autres. Ils nous rendent indifférents à la croix du Christ – tout comme Paul le dit. Ils nous rendent indifférents à la communion et à la fraternité vivifiantes qui découlent de cette croix. Les ennemis de la croix nous nourrissent de l’idée vénéneuse qu’il y a des différences essentielles entre nous, entre nos souffrances individuelles et nos aspirations, que nous ne pouvons être en communion pour x ou y raisons, que nous appartenons essentiellement et exclusivement à une certaine race, nation, idéologie, classe sociale, langue et non radicalement l’une à l’autre. Toutes ces puissances ne veulent pas que nous expérimentions la réalité que nous appartenons principalement les uns aux autres en Dieu avant et contre tout le reste et toute autre puissance. Toutes les puissances maléfiques de ce monde, y compris les puissances qui ont inspiré à Hérode le désir de tuer Jésus, veulent nous faire croire que vivre en communion n’est pas notre identité primordiale, que vivre en communion n’est pas ce que nous sommes destinés à être et c’est pas où nous appartenons.

Heureusement pour nous, Dieu ne se lasse pas de nous rappeler sous ses ailes, de se battre pour nous. Le grand mystère qui nous unit, pas seulement ceux d’entre nous qui sont ici ce matin, le mystère qui unit tous les saints sur terre et dans les cieux et en fait toute la création elle-même, est le suivant. C’est le mystère de la communion. Ce mystère va devenir visible très bientôt, juste ici. Ce mystère est l’ombre de Dieu qui nous couvre et nous permet de grandir jusqu’à la pleine stature du Christ. En fait, si la Communion était un animal, ce serait probablement une poule. A cet autel vous êtes accueillis sous les ailes du Christ, parce qu’il se donne à vous dans son corps et son sang au moment où il ouvre grand ses ailes sur la Croix pour embrasser toute notre humanité. Dans le mystère de la communion, rien n’est laissé de côté, rien de ce qui nécessite de l’attention n’est laissé sans surveillance. Tout et tout le monde sont réunis. En venant à cette table, rappelez-vous que vous pouvez apporter avec vous tout ce que vous êtes, dans votre esprit, votre imagination et votre cœur afin de communiquer avec lui. Vous pouvez amener toutes les personnes dont vous vous souvenez qui sont vivantes ou endormies, souffrantes ou joyeuses. Sous son aile, vous pouvez également lui communiquer vos doutes, votre colère et vos peurs. Ici tout est réuni en Christ et consommé en lui. Ici, chaque créature est invitée à habiter et à se réchauffer en sa présence réelle et à l’ombre de ses ailes. Même si nous sommes chassés par les renards de ce monde, tout comme une couvée de poussins, nous pouvons encore nous rassembler à cet autel et trouver refuge dans le corps du Christ. Cette toute petite miette de pain nous ouvre les profondeurs de l’intimité de Dieu. Ici, au milieu de nous, nous pouvons l’accueillir et nous accueillir en son nom. Notre intimité avec lui fait de nous tous un. Et quand nous récitons les paroles du Sanctus « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » en nous signant, nous ne saurons pas si nous parlons de nous ou de lui. Dans la communion, nous pouvons nous accueillir parce que nous devenons vraiment un seul corps spirituel. Cette grande intimité, cette grande proximité avec Dieu et les uns avec les autres nous protège des renards de ce monde.

Je quitterai bientôt ce perchoir et nous quitterons tous ce poulailler où le Christ nous a réunis sous ses ailes. Bientôt nous quitterons le nid de Jésus. Pourtant nous pouvons apporter sa présence et sa chaleur au monde, quand, comme un poussin quitte sa mère, nous sortirons pour accueillir, protéger, défendre, nourrir et aider les autres. Si vous cherchez encore une certaine discipline de carême, pourquoi ne pas être pour quelqu’un d’autre le nid que vous avez trouvé ici, dans l’intimité de la présence de Jésus et en compagnie de cette communion ? Cela peut être aussi simple que de parler à quelqu’un avec qui vous n’avez jamais parlé ou de l’écouter. Cela peut être aussi simple que d’inviter quelqu’un à dîner, à prendre un café ou à faire une promenade. Ou prenez simplement le temps de faire silence avec vous-même. Ce ne sont là que quelques-unes des façons dont nous pouvons nous communiquer l’intimité de Dieu comme le Christ Poule nous la communique dans le sacrement de communion. Tous ces signes simples de l’intimité divine feront de nous un peuple auquel les gens voudront appartenir. Et très humblement, l’amour et la paix du Christ s’étendront à travers vos liens d’amitié, jusqu’aux cœurs les plus seuls et plus plus fatigués.

Mercredi des cendres

Le Père Austin m’a proposé de prêcher pour le Mercredi des cendres. Vous trouverez-ci dessous une traduction en français.

File:Wood ash.jpg - Wikimedia Commons

Peut-être êtes-vous un peu anxieux en ce début de Carême. On pense souvent au Carême comme au temps liturgique pendant lequel on est censé examiner de plus près nos péchés pour essayer de comprendre leurs origines et même leurs trajectoires catastrophiques si on ne fait pas amende honorable. Au début du Carême, vous pensez peut-être à vos addictions, aux mêmes erreurs que vous continuez de commettre ou à vos erreurs passées. Pourquoi suis-je si infidèle, inattentif, têtu ? Vous pensez peut-être aussi aux péchés dans lesquels nous sommes tous impliqués et qui se dressent devant nos yeux : l’effondrement écologique actuel, l’infidélité de l’Église, la détérioration des injustices sociales, les dangers de la guerre et de la division. Nous préférons fuir ou nous distraire que d’ajouter le désespoir au désespoir en y réfléchissant.

Le temps du Carême est certainement un temps difficile. Mais pas pour les raisons que je viens d’évoquer. Les attitudes que je viens d’évoquer ont peu à voir avec l’esprit du Carême. Pourquoi ? Parce que lorsque je parlais du péché, j’en parlais d’un point de vue humain ; et le péché vu seulement à travers des yeux humains n’est pas notre affaire ! Dans tout ce que j’ai dit, et dans toutes ces choses dans lesquelles vous vous êtes peut-être reconnus, et moi aussi, nous avons négligé la présence et l’action de Dieu. Notre esprit est tout à fait capable de prendre conscience de nos péchés, mais cette introspection nous est inutile — et même dangereuse ! — si nous ne regardons pas ces péchés, et nous-mêmes en tant que pécheurs, avec le regard aimant de Jésus. Nous sommes très bons pour lutter contre nos péchés, mais très mauvais pour les voir à travers les yeux de Dieu. Si cela est vrai, c’est parce que l’amour de Dieu dépasse toute intelligence humaine, comme vient de nous le dire le Psalmiste :

Mais autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre,

Autant sa bonté est grande pour ceux qui le craignent;

Autant l’orient est éloigné de l’occident,

Autant il éloigne de nous nos transgressions.

Il est impossible à notre entendement humain de comprendre la miséricorde que Dieu nous offre, tout comme il est très difficile de voir que notre Maître en ce temps de Carême n’est pas étranger à nos péchés, nos fautes et nos compromissions. Nous sommes tellement convaincus que la perfection de Dieu nous rejette qu’il nous est difficile de les regarder avec les yeux de celui qui les connu dans sa propre chair.  Entrer en relation avec Jésus-Christ est cependant notre seul espoir et notre seul chemin à travers cette saison de Carême. Car « le Père a fait que celui qui n’a pas connu le péché soit fait péché pour nous, afin que nous devenions justice de Dieu en lui » . Jésus-Christ est allé plus bas dans notre désespoir et nos péchés que nous ne pourrons jamais aller. Il a combattu de pires batailles et les a remportées. Rappelez-vous ceci quand vous vous sentez abattus, quand vous réfléchissez à vos péchés ou aux péchés de notre humanité : Christ a toujours été plus bas. Alors que nous entrons dans ce temps de Carême, nous sommes appelés à la foi : nous sommes appelés à faire l’expérience qu’il n’y a aucune souffrance, aucune douleur, aucun doute, qu’il n’ait pas assisté et guéri par ses caresses.

De fait, le principal danger du Carême, et peut-être de toute vie chrétienne, n’est pas péché. Cela fait partie de notre nature humaine. Le reconnaître signifie que nous reconnaissons que nous sommes des fils et des filles de Dieu qui ont besoin de grandir dans la pleine stature de Christ. Le principal danger de toute vie chrétienne est de s’appropier nos péchés ; c’est croire qu’ils nous appartiennent en propre et ne dépendent que de nous. S’approprier nos péchés est tout aussi fautif que s’approprier nos bonnes actions. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Jésus dans l’Evangile d’aujourd’hui a un avertissement très fort contre ce que nous appelons l’hypocrisie. L’hypocrisie arrive lorsque quelque chose est fait pour le bénéfice social ou narcissique qu’on en tire, plutôt que par pure obéissance au commandement de Dieu. Nous donnons l’impression que nous donnons, mais en réalité nous donnons peu pour gagner plus pour nous-mêmes. Lorsque nous faisons cela, nous cachons le fait que nous espérons gagner quelque chose. Pendant le Carême, nous devons être conscients que cela se produit également avec nos fautes ou nos péchés. Ce ne sont pas seulement les bonnes actions qui alimentent notre désir d’acquérir du prestige, du pouvoir et une supériorité morale. Par ces attitudes, nous essayons de nous sauver nous-mêmes, d’établir notre propre nom et réputation, parfois même notre propre église, en laissant Dieu hors-champ.

Ce qui est si triste dans notre fascination et notre attachement aux péchés, c’est que si vous ne laissez pas le Christ les prendre, ils pourriront près de vous et rendra tout le monde malade à l’entour. Les péchés non pardonnés rendent nos sociétés malades ; ils nous font soupçonner le péché là où il n’y a pas de péché. Les péchés non remis détruisent la vraie joie et la vraie liberté. Ils contaminent d’autres domaines de notre vie avec leur sournoiserie. Nous finissons par nous mesurer nous-mêmes et les autres de la mesure des choses, des puissances et des créatures de ce monde, au lieu de nous mesurer par rapport à l’amour infini et dynamique de Dieu.

Si nous faisons de nos péchés ou de nos bonnes actions notre trésor, si nous les collectons, les classons ou les publions, nous mettrons notre cœur dans nos actions, qu’elles soient « bonnes ou mauvaises ». Nous faisons notre trésor ce que nous faisons, et nos cœurs ne battront plus pour le Créateur de tous et le Rédempteur de tous. La réalité est que rien de ce que nous avons et rien de ce que nous faisons ne nous appartient, et il en va de même pour nos péchés. Ils appartiennent à Jésus-Christ, et si nous ne le laissons pas les prendre, nous nous opposons en fait à l’amour de Dieu. « Dieu », comme le souligne Maurice Zundel , un prêtre suisse, « ne peut pas régner en nous sans nous, car Dieu est amour et l’amour ne peut être reçu que par l’amour ».

Comment donner quelque chose à quelqu’un ? En venant à lui ! On lui parle, on se présente, et petit à petit on voit une intimité naître et on donne ce qu’on a envie de donner. Et si vous avez beaucoup à donner, restez simplement plus longtemps ! C’est pareil avec les péchés que nous voulons donner à Jésus-Christ, nous pouvons nous approcher de lui et les lui présenter, simplement, avec humilité. Et quand nous sentirons ses yeux nous regarder, nous nous rendrons compte qu’il ne veut pas tant nos péchés qu’il nous veut nous-mêmes. Il veut se donner entièrement à nous. De ce côté de la Croix, nos péchés ne sont qu’un prétexte, une occasion de l’approcher, d’être marqués de son signe et reçus dans son corps. Donnez-lui vos péchés dans la prière et dans le silence, dans tout ce que vous faites ou manquez de faire : il les mettra de côté et vous regardera car il vous aime plus que tout ce que vous pourrez lui offrir. Il se donnera à vous. Et entre vos mains; ces mêmes mains qui s’accrochaient à vos péchés, il viendra se loger pour que vous grandissiez à sa ressemblance.

Symposium Sacerdoce

Le printemps se fait déjà sentir ici à Rome même si les matins sont encore froids. Plusieurs événements ont été l’occasion de rencontres oecuméniques passionantes ces derniers temps et je vais essayer de vous en donner un aperçu dans mes prochains articles.

Le site du symposium sur le sacerdoce

L’archevêque Ian Ernest et moi-même sommes allés à la conférence qui se tenait pendant trois jours au Vatican sur le sacerdoce. Cette conférence se voulait une réponse aux difficultés que traverse l’Eglise catholique romaine en ce moment, notamment après que des prêtres ont utilisé leur position d’autorité pour abuser des personnes qui étaient placés sous leur soins. Le séminaire ne s’est pas tellement attardé sur les raisons des abus, qui ont été renvoyé à un possible autre séminaire. Les communications cherchaient surtout à aborder les réalités de la prêtrise dans l’église catholique de manière pastorale et théologique sans la limiter (du moins c’était l’intention initiale!) au sacerdoce ministériel (c’est-à-dire le sacerdoce des prêtres ordonnés). Il a en effet été un peu question du sacerdoce de tous les baptisés (sacerdoce baptismal) que le processus synodal actuel qu’a lancé l’Eglise catholique et sur lequel je reviendrai tente de faire valoriser à nouveau. La leçon inaugurale du Pape était certainement la plus inspirante des communications, car, contrairement à beaucoup d’autre, il abordait les réalités du sacerdoces d’un point de vue spirituel et pastoral et non purement théologique ou historique. Voici le lien vers un compte-rendu de son discours.

https://www.vatican.va/content/francesco/en/speeches/2022/february/documents/20220217-simposio-teologia-sacerdozio.html

Malheureusement, la communication que nous attendions le plus et qui devait porter sur les enjeux oecuménique du sacerdoce fut assez décevante. Le Cardinal Koch s’est limité aux relations de l’Eglise catholique avec les Orthodoxes et les Luthériens, ignorant magistralement les dialogues anglican-catholiques. Globalement les présentations étaient très intéressantes et ont nourri des discussions passionnantes entre ++Ian et moi sur les différences et les similarités entre les conceptions anglicane et romaine de la prêtrise. Les pauses cafés m’ont aussi permis de rencontre des séminaristes catholiques du Séminaire français de Rome ainsi que le Recteur du Collège Beda, un des séminaire anglais de Rome. Ils m’ont tous invité à leur rendre visite, ce qui fera matière à d’autres articles !

L’archevêque Ian Ernest et moi au Symposium sur le sacerdoce.

Premier sermon au Centre Anglican

L’archevêque Ian Ernest, directeur du Centre anglican, m’a invité à prêcher pour notre Eucharistie du mardi. Voici le texte du sermon et un lien vers la vidéo du service sur la page Facebook du Centre anglican.

https://fb.watch/bsHchXAZc1/
Premier sermon au Centre anglican ! 🙂

Mardi 22 février

Centre anglican, Rome

Jacques 4.1-10 ; Ps 55:7-24 ; Marc 9.30-37

Les lectures que nous venons d’entendre sont difficiles, car elles parlent de conflit, ce dont nous ne voulons généralement pas entendre parler dans l’église ou dans le monde. Ces lectures portent sur des attitudes concurrentes et des visions du monde antagonistes qui, d’un point de vue humain, semblent irréconciliables. Pour beaucoup de nos frères et sœurs à la marge de l’Église, et pour nous, entendre Jacques déclarer que « l’amitié avec le monde est inimitié avec Dieu» peut sembler très dur et un radicalement choquant. Voyez ces chrétiens qui n’aiment pas notre monde, qui rêvent juste du ciel et condamne tout ici-bas comme pécheur ! Il est vrai que la crise écologique moderne actuelle peut être attribuée à certains enseignements chrétiens qui ont été mal utilisés et mal interprétés. Les préjugés négatifs sur le monde dans certains milieux religieux chrétiens ont donné lieu à une forme d’opposition stérile entre le matériel et le spirituel et ont conduit à un rapport abusif à la création divine. Pour reprendre les mots de Gilbert Chesterton, on peut dire que la crise écologique dans laquelle nous vivons aujourd’hui est la conséquence des « vieilles vertus chrétiennes devenues folles ».

Cette incompréhension des enseignements chrétiens était déjà possible à l’époque de Jacques. Pour les contemporains de Jacques comme pour nous aujourd’hui, le cosmos en question faisait référence à l’univers, le lieu où nous vivons, notre biotope, peuplé de réalités physiques et spirituelles. Alors que l’effondrement écologique nous oblige à réaliser que nous abusons continuellement de la création que Dieu nous a confiée, l’affirmation selon laquelle «l’amitié avec le monde est inimitié avec Dieu» semble encore plus scandaleuse. Pourquoi avoir de l’amitié, de la compassion pour notre monde souffrant des conséquences du changement climatique pourrait faire de nous des ennemis de Dieu ? Comment pourriez-vous opposer à Dieu l’amitié avec ce monde, qui est notre environnement, le lieu où nous vivons, où nous nous réjouissons et souffrons ? Cela n’a vraiment aucun sens et c’est profondément révoltant. C’est non seulement absurde mais aussi contraire à l’esprit de l’Evangile et à l’enseignement de Jésus-Christ. Comment pouvons-nous alors comprendre ce que Jacques nous dit concernant l’amour rédempteur du Christ pour nous ? La réponse à cette question cruciale se trouve dans la manière dont Dieu agit dans ce monde et nous enjoint de participer à sa vie rédemptrice. L’Evangile que nous venons d’entendre nous offre un chemin de transformation qui n’est pas celui de la condamnation mais celui de la collaboration et de la communion.

L’attitude des disciples qui discutent sur la manière de savoir qui est le plus grand ne doit pas nous surprendre. C’est notre manière normale d’être et de penser lorsque nous nous comparons les uns aux autres, lorsque nous voyons des qualités ou des défauts que nous pensons reconnaître chez les autres ou en nous-mêmes. Suis-je meilleur ou pire que mon collègue ? Meilleur ou pire que mon ami ? Meilleur ou pire que ce frère ou cette sœur assis à côté de moi ? Cette attitude se retrouve dans tous les milieux où les humains vivent ensemble, et même lorsque nous sommes seuls, nous pensons toujours de cette façon. Vivre ensemble entre humains peut favoriser la compétition et l’envie : cela se passe à la frontière entre les nations, sur les marchés entre les entreprises, à l’école entre les élèves ou dans nos familles. Lorsque, comme les disciples, nous cherchons à nous juger, à nous évaluer, nous basons notre jugement sur des idées, des faits, des choses qui sont toujours de toutes petites parties de la réalité. Dans notre communion d’Églises, nous avons aussi tendance à rivaliser sur des questions de liturgie, de normes morales et d’une plus grande fidélité à la Bible ou à la tradition. Nous nous disputons souvent pour savoir qui est le plus grand. Nous pensons que nous pouvons juger l’ensemble, que nous pouvons nous juger et nous évaluer, en fondant notre jugement sur notre toute petite compréhension humaine d’une situation. Nous pensons que certaines analyses savamment assemblées peuvent être un argument contre un tout qu’on ne connaît jamais. Mais comment juger, quand, contrairement au Christ qui lit dans le cœur de ses disciples, nous ne connaissons pas le cœur de l’homme et la plénitude de l’amour de Dieu ?

L’attitude de Christ dans l’Evangile est totalement différente de cette attitude mondaine que je viens de décrire. Le Christ ne s’engage pas dans la querelle entre les disciples pour savoir qui est le plus grand. Il ne recueille pas les jugements,  il ne fait pas des dossiers comme les juges de ce monde. Il ne les hiérarchise pas, il ne les classe pas selon leur ancienneté, leurs compétences ou leurs dons. Quelle différence avec tout ce que nous faisons, tout ce que nous disons et tout ce que nous entendons les uns sur les autres chaque jour ! Au lieu de cela, le Christ s’écarte de la lutte de pouvoir en remontant à la source de tout pouvoir, c’est-à-dire sa propre autorité mise au service de tous. Alors que les disciples se jugent de manière anarchique et futile, rivalisent et commentent comme nous le faisons sur les réseaux sociaux, Jésus, comme le Seigneur dans le prophète Joël, s’assoit pour juger son peuple.

Le genre de pièce de théâtre qu’il joue quand il met un petit enfant parmi eux et l’embrasse est une leçon de choses. C’est un signe prophétique qui s’apparente au mime prophétique d’Ezéchiel ou aux happenings théâtraux et politiques d’aujourd’hui : Jésus-Christ ne nous enseigne pas principalement à travers des idées, des valeurs ou des catégories que nous pouvons facilement ramasser et utiliser comme des armes l’un envers l’autre. Il nous accueille dans son royaume en nous montrant qu’elle est l’ultime réalité divine qui se révèle elle-même : la dynamique du service. Les gestes prophétiques qu’il accomplit mettent en scène pour nous tous la réalité de la vie eucharistique, une vie ordonnée par le fait de recevoir et de donner, non par le jugement. Ce geste prophétique, qui est un jugement de Dieu, est une réponse à l’attitude divise de compétition des disciples : il nous enseigne que la seule manière par laquelle nous sommes appelés à rivaliser est en en étant plus désintéressés dans notre service les uns envers les autres, au point que nous devenons transparents à Dieu en s’offrant comme lui de façon désintéressée.

Le mystère de l’Eucharistie dans lequel nous allons entrer est la nourriture qui nous permet de grandir  et d’atteindre la pleine stature du Christ. Elle nous permet aujourd’hui de nous imprégner de la réalité du Royaume et de son sens du service à même ce monde. Tout comme ce petit enfant parmi les disciples, l’Eucharistie est un mystère silencieux, un tout petit et tout simple repas. C’est à peine un repas comme un enfant est à peine un homme ou une femme, mais si nous l’accueillons, nous sommes aussi accueillis dans la dynamique divine de l’amour, et devenons capables de la partager. Par ce petit morceau de pain (le corps de notre Seigneur), par cette coupe de vin (le sang de notre Seigneur), nous pouvons entrer dans l’ordre de grandeur du Royaume dans lequel la petitesse et le service nous font grandir et nous restaurent. De cet autel découle tout le mystère eucharistique de nos vies qui rend nos relations, nos ministères et notre vie quotidienne de disciples du Christ veritablement divines. L’Eucharistie est le mystère dans lequel notre monde brisé se réconcilie avec Dieu en Jésus-Christ.

Cette vie eucharistique est dynamiquement différente de ce qui a conduit à l’effondrement écologique actuel. La crise écologique actuelle est le fruit d’un esprit mondain d’intérêts égoïstes et de compétition et d’une profonde incompréhension de ce que signifie être serviteur de Dieu dans ce monde. Au contraire, se nourrir de l’Eucharistie est le remède à la compétition et à la division du monde qui conduit à sa destruction écologique et à notre propre mort. En se donnant à nous, et en traçant par là un chemin-retour vers lui, Dieu nous commande en Jésus-Christ d’ordonner nos vies selon les plus petits serviteurs de ce monde : « Qui veut être le premier doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. ‘ Il s’est fait le serviteur de tous pour que nous puissions nous réconcilier avec lui. Pour ce faire, il a osé s’offrir à nous sous les espèces du pain et du vin, et être sacrifié comme l’Agneau de Dieu. Comme il l’a osé, nous pouvons aussi oser voir le « petit enfant » d’aujourd’hui dans nos frères et sœurs silencieux : tous les êtres humains et non-humain qui n’ont pas voix au chapitre.  Les minéraux, les plantes, les animaux sont aussi notre propre enfance dans la grande histoire de l’évolution par laquelle Dieu se révèle. Nous sommes invités, à cet autel et dans nos vies à les accueillir en son nom pour l’accueillir lui et le Père qui l’a envoyé. Être disciples du Christ aujourd’hui, c’est se rappeler l’urgence d’arrêter de rivaliser les uns avec les autres. Nous sommes plutôt invités à laisser nos vies être transforée en une vie eucharistique. Cela implique un engagement fort et concret au service écologique dans un esprit de fraternité. De ce service commun dépend la crédibilité de notre témoignage chrétien aux yeux de ceux à qui le Christ nous envoie comme ses disciples.

Un chat romain.

Epiphanie VI – un anniversaire très spécial

On m’a proposé de prêcher lors de l’Eucharistie dominicale à Saint-Paul hier. Ce dimanche a également été une étape importante dans l’histoire de la communauté ecclésiale car c’était les 10 ans de l’arrivée du Père Austin à St Paul.

Vous trouverez ci-dessous le texte traduit du sermon ainsi que l’audio en anglais.

13 février 2022

Épiphanie VI : Saint-Paul-dans-les-murs, Rome

Lectures: Jérémie 17:5-10 ; Psaume 1 ; 1 Corinthiens 15:12-20 ; Luc 6:17-26

En tant que jeune prédicateur et nouveau venu parmi vous, je suis soucieux d’être pertinent, plus que je ne devrais probablement l’être. On dit que les congrégations aiment les sermons pertinents. Le dictionnaire Merriam Webster définit la pertinence comme ceci : « ayant une incidence significative et démontrable sur le sujet en question », mais aussi « ayant une pertinence sociale ». Comme on ne se connaît pas vous pouvez légitimement vous demander comment ce jeune Français peut avoir une « pertinence sociale » pour prêcher à nous, des gens qu’il connaît à peine, dans une ville où il est arrivé il y a un petit mois ? Je me suis posé la même question moi-même quand j’ai commencé à écrire ce sermon. La Bible nous donne plus d’un exemple du fait que les discours publics pertinents inspirés par l’Esprit de Dieu (ce que nous appelons dans le jargon de l’Eglise des sermons) ne dépendent pas d’une connaissance sociologique de l’auditoire. Ni du statut, de l’éducation ou des compétences du prédicateur. Voilà qui est réconfortant ! Surtout aujourd’hui où je monte en chaire après Jésus-Christ lui-même !

Dans l’Evangile, c’est bien Jésus que nous avons entendu prêcher aujourd’hui. Ce passage est souvent appelé le « sermon sur la plaine » parce que Jésus descend du mont des Oliviers pour s’adresser à ses disciples, et (sous-entendu) aussi pour s’adresser à la foule et à la grande multitude qui est venue le suivre. Si le sermon de Jésus est en tous points différent de ce qu’un prêtre oserait prêcher, cette foule est cependant à peu près identique à nous ici ce matin. C’est un mélange composite et cosmopolite de personnes : « Une communauté de personnes fortes et de personnes faibles, une communauté composée de personnes fidèles et de personnes qui manquent de foi, de personnes riches et de personnes pauvres, de personnes qui ont été guéries. et de gens qui aspirent à être guéris… [1]» Ils venaient, comme nous, de différentes régions, avaient différentes langues maternelles et différents horizons. Cette foule changeait probablement constamment, les gens allaient et venaient, et beaucoup parmi cette multitude ne partageaient pas la culture juive de Jésus. Comment l’enseignement de quelqu’un pourrait-il être pertinent pour une telle multitude ? Comment pouvait-il parler à la fois aux Judéens, aux habitants de Jérusalem et aux habitants de la côte ? Comment pourrait-il être significatif pour ses disciples proches ainsi que pour les personnes qu’il rencontre pour la première fois ?

Et pourtant, ce que dit Jésus à cette multitude mélangée est infiniment pertinente, même pour nous aujourd’hui, dans un pays qu’il n’a jamais visité. Si elle est si pertinente, c’est qu’il ne prêche pas de lui-même, mais comme il le dit souvent dans l’Evangile, à partir de la communion d’amour qu’il partage à la fois avec son Père , et avec nous, ses frères et sœurs. Jésus est pertinent parce qu’il nous relie les uns aux autres et au Père. Aucune idéologie, aucune méthode, aucun égocentrisme n’entrave le flot des paroles de Jésus qui nous abreuve tous. Les quatre « bénis » et les quatre « malheur » qu’il annonce à la multitude découlent de la même source : ils manifestent tous le pouvoir de Jésus de libérer, ou de « décoller » ceux qui s’identifient à ce qu’ils ne sont pas . Vous êtes dans la souffrance ? Prenez courage, votre souffrance n’est pas ce que vous êtes Êtes-vous satisfaits? Dieu a quelque chose de meilleur pour vous, votre satisfaction n’est pas non plus ce que vous êtes. Mais les bénédictions et les malheurs de Jésus font plus que cela, ils font plus que s’adresser à notre moi individuel, laissant chacun de nous régler ses problèmes par lui-même. La symétrie de ces bienheureux et de ces malheureux invite cette foule – tout comme elle nous invite aujourd’hui – à les considérer comme intimement liés, à voir les besoins et les dons de chacun comme mutuellement interdépendants. Si vous êtes , ou avez tellement, vous pouvez donner plus aux autres et être plus présent pour eux. Si vous avez peu et que vous êtes petit aux yeux du monde, vous pouvez recevoir encore plus et enseigner mieux que quiconque la reconnaissance. Dans les paroles de Jésus, les bénédictions et les malheurs de ce monde sont réconciliés pour favoriser la guérison, tout comme les guérisons miraculeuses des malades sont des signes de la puissance de Dieu et de son Royaume à venir.

Jésus nous rend pertinents les uns pour les autres, tout comme sa mort et sa résurrection sont pertinentes pour nous tous, comme le souligne saint Paul. Si nous nous traitons mutuellement de dérisoires ou d’insignifiants, nous ne croyons pas à la pertinence de Jésus, ni à son pouvoir de guérir ce monde. Jésus lui-même ne dit jamais à personne que ça ne sert à rien qu’il le suive, qu’il n’a pas d’importance. Il ne dit à personne qu’ils ne sont pas pertinents. Et qui plus est, comme ils le suivent ensemble sur le chemin, ils sont aussi invités à se suivre mutuellement ; pour découvrir la pertinence de chacun. C’est ainsi qu’avance une foule et on peut observer la même chose avec des groupes de touristes à Rome : même s’ils suivent un guide, ils finissent tous par marcher l’un après l’autre, parfois devant, parfois à côté, parfois un peu en arrière, mais jamais seul.

Ces gens dans la plaine ont la possibilité de suivre Jésus, tout comme ceux d’entre nous qui sont ici. Si nous continuons à nous venir, si nous continuons à nous joindre à cette foule, l’écart entre les bénédictions et les malheurs se réduira . Le fossé entre vous et moi se rétrécira, entre nous tous, et entre Christ et chacun aussi. Tous les sermons que Jésus prononce dans l’évangile de Luc nous le disent. Se rendre présent, venir est aussi pertinent et radical que la présence de Jésus parmi nous. Présentez-vous, venez régulièrement; construiser le Royaume.

Lorsque vous vous êtes rassemblés comme cette foule, quand vous êtes venus ce matin, vous vous attendiez probablement à entendre la Parole de Dieu partagée par quelqu’un dont vous connaissez la voix. Certainement pas par moi, naturellement, car nous ne nous connaissons pas encore. Je parle bien sûr du Père Austin, votre Recteur, qui n’est pas sur cette montagne aujourd’hui, mais de « plain-pied » avec vous comme Jésus quand il s’adressait à ses disciples et guérissait les foules ! Aujourd’hui, nous célébrons le 10e anniversaire d’Austin à St. Paul’s. C’est dix années où il a été là pour vous. C’est dix années où il a guidé une foule toujours changeante et mouvante de disciples du Christ dans cette ville de Rome. Dix ans où il a maintenu ensemble dans les soins et les prières de Dieu une communauté aussi diverse que vous tous qui êtes ici en personne ou par Internet. Dix ans qu’il a été présent à ceux qui sont aujourd’hui absents. Dix ans où il a montré la pertinence de chacun les uns par rapport aux autres alors qu’ils avancent ensemble le Royaume de Dieu à Rome, en soutenant les ministères complémentaires de l’Église et du JNRC. Et dix ans aussi pendant lesquels toi, Austin, tu t’es donné à ce peuple. Si tu as besoin d’une preuve de ce que je dis, tout ce dont tu dois te rappeler, c’est que tu parles maintenant italien comme un vrai pompiste romain, come un benzinaio vero ! Tu ne seras jamais à sec. Tous ces efforts silencieux le Psalmiste les compare – d’une manière plus écologique – à un arbre qui pousse silencieusement (mais sûrement!) des racines et des branches pour que les gens se reposent à son ombre. Même lorsque le sol semblait recouvert de neige comme le jour de ton arrivée à Rome, au plus profond de ce sol, le Seigneur travaillait déjà à ce que tes racines atteignent sa source de vie. Tout ce que vous avez fait a été pertinent aux yeux de Dieu et aux yeux des personnes que tu as servies, à travers les malheurs et les bénédictions.

Je ne suis pas là depuis longtemps, mais je me souviens de ce qu’Austin m’a dit lors de notre première passegiata ensemble, il y a plus d’un mois. C’était le premier sermon que j’entendais à Rome à propos de l’Eglise, ce qui n’est pas rien ! Je pense qu’il serait très pertinent de vous le partager ce matin afin que vous ayez trois sermons pour le prix d’un : une grande nuée d’étourneaux dansait dans le ciel romain, et le Père Austin les a comparés à l’Église, à une belle congrégation . Dans leur danse, chaque étourneau est pertinent. Ils se présentent, ils viennent et volent ensemble dans la brise pour que tout le monde puisse les voir et rendre grâce à Dieu.

Joris Bürmann, MA, MDiv

Missionnaire YASC

[1]Le révérend Teddy Hickman-Maynard, «Following without Faith», The Memorial Church, Harvard, 26 octobre 2021.

Etourneaux dans le ciel de Rome, Mont Célio.

La Chandeleur à Rome

Aujourd’hui c’est la fête de la Présentation de Jésus au Temple de Jérusalem, qui a lieu quarante jours après sa naissance. On appelle parfois aussi cette fête, la Purification de la Vierge Marie car il était d’usage que les nouvelles mères se présentent au temple pour être purifiées rituellement. On donne aussi à cette fête le nom de la Chandeleur du nom des chandelles qui sont traditionnelles bénies en cette occasion.

Mosaïques byzantines dans la chapelle de saint Zénon dans l’église Sainte-Praxède.

À Rome, le début du mois de février était déjà associé à des fêtes polythéistes de purification comme les Lupercales et les Feralia avant l’arrivée de la foi juive et chrétienne. La purification et la lumière sont des réalités voisines et se retrouvent par exemple dans tous les dérivés du verbe latin lustro qui signifie à la fois « purifier par un sacrifice », « examiner » et « éclairer » (cf. les termes « lustrer » et « lustre »). 

Février marquait aussi la fin de l’année romaine qui commençait en mars. Pour les anciens Romains cette saison annonçait un renouveau, le retour de la lumière et de la fécondité. Les fêtes des Lupercales qui étaient commémorées à ce moment-là rappelaient le sauvetage de Romulus et Rémus par une louve après qu’ils ont été livrés aux eaux du Tibre en crue. Pour les anciens Romains, ce sauvetage inattendu du futur fondateur de Rome et de son frère témoignait de la faveur divine qu’avait reçu leur Cité. Dans le retour du printemps, de la lumière et de la fécondité, dans ce sauvetage de leur fondateur, ils voyaient la providence céleste à l’œuvre et la célébraient.

File:Speculum Romanae Magnificentiae- Romulus and Remus MET DP870233.jpg
Gravure de la statue de la louve romaine à laquelle a été les figures de Romulus et Rémus à la Renaissance.

Lorsque le 2 février 494 le Pape Gélase Ier organise une procession aux flambeaux dans la Ville pour commémorer la présentation au temple de Jésus, les Romains sont invités à relire l’histoire de leur fondation, leur propre histoire, à la lumière de ce salut annoncée par Siméon cet honorable vieillard qui, en recevant le bébé Jesus dans le temple, déclare :

Maintenant, ô Maître souverain,

tu peux laisser ton serviteur s’en aller

en paix, selon ta parole.

Car mes yeux ont vu le salut

que tu préparais à la face des peuples :

lumière qui se révèle aux nations

et donne gloire à ton peuple Israël.

En cette fête, à Rome ou ailleurs, Romains anciens ou nouveaux, de sang ou de cœur, sont invités à relire leur histoire nationale, l’histoire de leurs origines quelles qu’elles soient à la lumière de la venue du Christ dans ce monde. Comme la longue vie d’attente de Siméon, comme l’histoire de la fête des Lupercales, notre histoire personnelle et communautaire n’est pas annulée par la promesse divine réalisée en Jesus-Christ : c’est en ces histoires que Dieu a trouvé de quoi entrer dans les cœurs des Romains et les nôtres aujourd’hui. Célébrer la présentation au Temple de Jésus qui, n’étant pas sous la loi a pourtant obéi à la loi, nous invite à aller au-delà de nos propres origines, de nos propres limitations, de nos préjugés et notre esprit de clocher. Le cantique de Siméon nous fait contempler notre propre vie, notre histoire et nos attentes mais nous rappelle que notre identité véritable est au devant de nous, dans la gloire de Jesus-Christ et de ses saints qui se révèle au monde, plus que dans nos exploits ou nos épreuves passés.

Jésus Christ en gloire entouré de sainte Prudentienne, saint Paul, saint Pierre, sainte Praxède et de toute sa cour céleste, mosaïque de l’église Sainte-Praxède.

Lors de la fête de la présentation de Jésus au Temple on ne célèbre pas les fondateurs d’une Ville au pouvoir impérial mais les premières lueurs d’un complet renversement des règles de ce monde. Un monde où ce ne sont pas les empires, les hégémonies, les cultures, les races, les langues ou les identités quelles qu’elles soient qui nous définissent, nous rassemblent ou nous séparent mais Jésus-Christ lui-même qui est :

Ressource des petits,

Lumière des Gentils,

Et d’Israel la gloire.

En France la tradition veut qu’on mange des crêpes pour la Chandeleur. J’ai trouvé non loin de l’église une crêperie bretonne où j’ai déjeuné ce midi. Sur la photo une galette de blé soir complète.