Voilà bientôt trois semaines que je suis arrivé à Rome et je n’ai encore rien posté ici. C’est vrai que j’ai été très occupé, notamment au Centre Anglican, où j’ai aidé l’archevêque Ian Ernest et toute l’équipe à organiser la semaine de Prière pour l’unité des chrétiens. Le fait que j’étais très occupé n’est pourtant pas la seule raison pour laquelle je n’ai pas écrit. Les idées de postes ne manquent pas : l’accueil chaleureux que j’ai reçu du recteur de St. Paul, le Père Austin et de sa femme Maleah ; mon premier dimanche à St. Paul ou j’ai pu rencontrer certains paroissiens et participer à l’office en anglais à 10h30, puis à celui en espagnol à midi ; ou encore les nombreuses rencontres œcuméniques que j’ai faites au Centre Anglican où se rassemblent tous les jeudis matin un groupe de prière qui réunit des méthodistes, de presbytériens, des catholiques, des orthodoxes et bien sûr des anglicans !
Pourtant dans tout ça, dans ce nouveau lieu pour moi, dans ce nouveau contexte j’ai ressenti le besoin de prendre du temps pour écouter et connaître « l’esprit du lieu » avant d’écrire quoi que ce soit.
Pour les Romains de l’Antiquité, le genius loci (esprit du lieu) était un être spirituel réel qui habitait et protégeait un lieu particulier. Avec la christianisation de la culture romaine, ces esprits ont aussi été convertis, leur patronage étant reconnu comme des protections angéliques, celle de la Vierge Marie ou des saints. Cette piété populaire, très incarnée est très présente à Rome, (et encore plus dans le sud de l’Italie m’a-t-on dit!)
À Rome toutes les églises sont sous le patronage d’un saint ou d’une sainte (ou de plusieurs!) dont la vie et l’obéissance au Christ a rassemblé la communauté chrétienne. La première et la plus importante de ces églises est la Basilique Saint Pierre de Rome construite autour de la tombe de saint Pierre sur la colline du Vatican. J’ai eu la chance la semaine dernière d’aller visiter les sous-sols de la basilique avec un groupe de pèlerins et d’étudiants américains de Nashotah House. Ce qui m’a frappé dans cette visite c’est la manière dont la sacralité de toute l’Eglise, celle de l’assemblée et de chacun des fidèles qui prend part au corps du Christ découle en un sens très physique du martyr de Pierre. Lorsque Pierre a été supplicié, crucifié tête en bas lors des persécutions de Néron contre les minorités religieuses et politiques, son corps a été enterré dans une simple tombe près de l’endroit où il a été exécuté, sur la colline du Vatican qui était déjà un cimetière. Dans les années qui ont suivi, les chrétiens de Rome lui ont construit un mausolée de même types sur les mausolées polythéistes, appelé trophée dont on peut encore voir les vestiges aujourd’hui. Avec Pierre le trophée païen à pris un sens nouveau, celui de la victoire sur la mort acquise par le Christ et à laquelle chacun de nous peut prendre part. L’Empereur Constantin puis les papes ont construit et reconstruit les autels successifs de la basilique juste autour et au-dessus de cette tombe, d’une manière qui ressemble un peu à des poupées russes ou aux différentes couches d’un oignon.
Ainsi aujourd’hui quand le Pape célèbre la messe à l’autel il le fait en présence et en continuité du corps martyrisé et sanctifié de Pierre qui est pour tous le sacrement d’une vie complètement offerte au Christ, comme le Christ lui-même s’est offert complètement pour nous. Plus qu’un esprit, c’est un même corps qui rassemble et sauve l’Église, le corps de saint Pierre qui est lui-même partie du corps du Christ qu’il a suivi jusqu’à la mort.
L’église épiscopale Saint Paul de Rome, en ayant choisi comme saint patron l’apôtre des non-juifs, (aussi martyrisé à Rome !) s’inscrit dans cette continuité. Pour nous chrétiens « l’esprit du lieu » qui nous garde et nous fait grandir dans la connaissance de nous-mêmes et de Dieu est un Esprit incarné. C’est celui qui engendre le Christ et chacun de ses disciples. La vie du Christ, sa mort et sa résurrection et tous les témoignages des saints, transmis par la Bible et par la tradition nous donne vie dans leur sillage. C’est dans le corps du Christ que nous sommes recueillis et protégés, dans chaque communauté chrétienne qui nous accueille, où l’on peut trouver amour, réconfort, pardon.
Les lectures bibliques de ces dernières semaines nous parlent du fait d’habiter un lieu et un temps précis. Que fait Jésus pendant toutes ces années pendant lesquelles nous ne savons pas ce qu’il fait ? Ces années cachées qui vont de sa petite enfance à l’âge adulte où commencé son ministère ? Que fait-il de ses douze ans à ses trente ans ? Ces années de vie « cachée » du Christ sont je crois les années au cours duquel le Dieu qu’il est a grandi en humanité : non seulement parce qu’il a grandi en force et en maturité mais parce qu’il a fait en silence l’expérience de notre humanité et de toute sa création, de sa famille humaine, de son village de Galilée. Pendant sa vie cachée il a communié avec ce monde qui l’entourait sans le connaître pour que tout ce monde puisse être accueilli en Dieu.
Rome est plein de la présence du Christ, visible ou invisible, et je suis joyeux de pouvoir vivre ici quelques temps. Quand le cœur vous manque, il suffit de lever les yeux pour voir une Madone à l’angle de la rue ou d’entrer dans une église. Les lieux et les rencontres prient avec vous et vous invitent à prier :
« Tout en résistant à la tendance qui consiste à restreindre la prière à des heures fixes, nous devons tendre à vivre d’une manière eucharistique en étant en tout temps et en tout lieu prêts à répondre à la présence divine. Nous devons rechercher les dons qui nous aident à prier sans cesse. L’Esprit nous offre le don de l’attention par laquelle nous discernons les signes de la présence et de l’action de Dieu dans la création, dans les autres et dans la trame de l’existence ordinaire.»
Règle de la Société de Saint Jean l’Évangéliste, « Prière et vie », chapitre 22.