Deuxième dimanche du Carême

Sermon prêché à St Paul-dans-les-murs, Rome

Genèse 15:1-12, 17-18

Psaume 27

Philippiens 3:17-4:1

Luc 13:31-35

Pendant le Carême, nous sommes dans un cheminement qui nous permet de considérer les choses avec un regard neuf. Les changements dans la liturgie et les nouvelles disciplines que nous sommes invités à adopter nous aident à refonder notre foi en Dieu plutôt que dans nos habitudes ou nos réponses toutes faites ; surtout les religieux ou cliquaires. Le Carême est un temps où nous sommes tous invités à reconsidérer notre façon de penser et de vivre notre appartenance les uns aux autres et à Dieu. Pour nous, ici à Saint-Paul, le Carême implique également de reconsidérer les liens de fraternité chrétienne qui ont été mis à rude épreuve pendant cette pandémie. Au cours de notre cheminement de Carême, notre sentiment d’appartenance sera redéfini et affiné par la présence rédemptrice du Christ et l’expérience de notre communion avec lui et les uns avec les autres.

L’Évangile d’aujourd’hui nous invite à jeter un nouveau regard sur notre mission de chrétiens et d’Église en écoutant le Christ parler de sa propre mission de guérison et de réconciliation. Écoutons le Christ répondre à un groupe de pharisiens qui s’approchent de lui pour lui dire qu’Hérode veut le tuer : « Écoutez, je chasse des démons et je fais des guérisons aujourd’hui et demain, et le troisième jour j’achève mon travail. Pourtant, aujourd’hui, demain et le surlendemain, je dois être en route, car il est impossible qu’un prophète soit tué en dehors de Jérusalem. Sa réponse peut sembler étrange à nos oreilles car il semble dire qu’il doit faire deux choses en même temps ; guérir et entreprendre un voyage à Jérusalem. Il suggère qu’il rythme ses actes quotidiens de guérison parallèlement à son voyage quotidien vers Jérusalem, vers sa Croix. Pour Jésus, en effet, « chasser les démons », « faire des guérisons » et accomplir la volonté de son Père – qui consiste à mourir sur la Croix – c’est la même chose. Le voyage, la guérison et la Croix ne font qu’un. L’image de la poule que Jésus utilise pour illustrer sa relation avec nous véhicule à la fois le sens de la protection maternelle et l’idée de sacrifice, car une poule se laisserait manger pour protéger ses poussins. Pour Jésus, être pleinement consommé à la fois dans l’amour et le service pour Dieu et aussi pour ses frères et sœurs, c’est exactement la même chose.

Il en est de même pour nous. Nous ne pouvons pas être en communion avec Dieu si nous n’aspirons pas à être en communion avec tous et l’ensemble de la Création. Nous ne pouvons pas être en communion avec Dieu si nous ne sommes pas particulièrement attentifs aux infirmités et aux souffrances de nos frères et sœurs sur notre chemin. Nous ne pouvons pas appartenir à Dieu si nous n’appartenons pas en même temps les uns aux autres. Nous ne pouvons pas appartenir à Dieu si nous ne sommes pas conscients dès le départ que notre vraie réalité est celle de la communion, et que cette communion est aussi un chemin de croix. La communion, et la communauté chrétienne qu’elle nourrit, n’est pas un projet humain : c’est un don de Dieu qui exige notre réponse d’amour. Si de nombreuses puissances maléfiques peuvent détruire et conquérir nos cœurs et nos esprits, c’est parce qu’elles nous inculquent l’idée que ce genre de communion n’existe pas. Ils nous rendent indifférents non seulement à nos propres souffrances, mais aussi à la souffrance des autres. Ils nous rendent indifférents à la croix du Christ – tout comme Paul le dit. Ils nous rendent indifférents à la communion et à la fraternité vivifiantes qui découlent de cette croix. Les ennemis de la croix nous nourrissent de l’idée vénéneuse qu’il y a des différences essentielles entre nous, entre nos souffrances individuelles et nos aspirations, que nous ne pouvons être en communion pour x ou y raisons, que nous appartenons essentiellement et exclusivement à une certaine race, nation, idéologie, classe sociale, langue et non radicalement l’une à l’autre. Toutes ces puissances ne veulent pas que nous expérimentions la réalité que nous appartenons principalement les uns aux autres en Dieu avant et contre tout le reste et toute autre puissance. Toutes les puissances maléfiques de ce monde, y compris les puissances qui ont inspiré à Hérode le désir de tuer Jésus, veulent nous faire croire que vivre en communion n’est pas notre identité primordiale, que vivre en communion n’est pas ce que nous sommes destinés à être et c’est pas où nous appartenons.

Heureusement pour nous, Dieu ne se lasse pas de nous rappeler sous ses ailes, de se battre pour nous. Le grand mystère qui nous unit, pas seulement ceux d’entre nous qui sont ici ce matin, le mystère qui unit tous les saints sur terre et dans les cieux et en fait toute la création elle-même, est le suivant. C’est le mystère de la communion. Ce mystère va devenir visible très bientôt, juste ici. Ce mystère est l’ombre de Dieu qui nous couvre et nous permet de grandir jusqu’à la pleine stature du Christ. En fait, si la Communion était un animal, ce serait probablement une poule. A cet autel vous êtes accueillis sous les ailes du Christ, parce qu’il se donne à vous dans son corps et son sang au moment où il ouvre grand ses ailes sur la Croix pour embrasser toute notre humanité. Dans le mystère de la communion, rien n’est laissé de côté, rien de ce qui nécessite de l’attention n’est laissé sans surveillance. Tout et tout le monde sont réunis. En venant à cette table, rappelez-vous que vous pouvez apporter avec vous tout ce que vous êtes, dans votre esprit, votre imagination et votre cœur afin de communiquer avec lui. Vous pouvez amener toutes les personnes dont vous vous souvenez qui sont vivantes ou endormies, souffrantes ou joyeuses. Sous son aile, vous pouvez également lui communiquer vos doutes, votre colère et vos peurs. Ici tout est réuni en Christ et consommé en lui. Ici, chaque créature est invitée à habiter et à se réchauffer en sa présence réelle et à l’ombre de ses ailes. Même si nous sommes chassés par les renards de ce monde, tout comme une couvée de poussins, nous pouvons encore nous rassembler à cet autel et trouver refuge dans le corps du Christ. Cette toute petite miette de pain nous ouvre les profondeurs de l’intimité de Dieu. Ici, au milieu de nous, nous pouvons l’accueillir et nous accueillir en son nom. Notre intimité avec lui fait de nous tous un. Et quand nous récitons les paroles du Sanctus « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » en nous signant, nous ne saurons pas si nous parlons de nous ou de lui. Dans la communion, nous pouvons nous accueillir parce que nous devenons vraiment un seul corps spirituel. Cette grande intimité, cette grande proximité avec Dieu et les uns avec les autres nous protège des renards de ce monde.

Je quitterai bientôt ce perchoir et nous quitterons tous ce poulailler où le Christ nous a réunis sous ses ailes. Bientôt nous quitterons le nid de Jésus. Pourtant nous pouvons apporter sa présence et sa chaleur au monde, quand, comme un poussin quitte sa mère, nous sortirons pour accueillir, protéger, défendre, nourrir et aider les autres. Si vous cherchez encore une certaine discipline de carême, pourquoi ne pas être pour quelqu’un d’autre le nid que vous avez trouvé ici, dans l’intimité de la présence de Jésus et en compagnie de cette communion ? Cela peut être aussi simple que de parler à quelqu’un avec qui vous n’avez jamais parlé ou de l’écouter. Cela peut être aussi simple que d’inviter quelqu’un à dîner, à prendre un café ou à faire une promenade. Ou prenez simplement le temps de faire silence avec vous-même. Ce ne sont là que quelques-unes des façons dont nous pouvons nous communiquer l’intimité de Dieu comme le Christ Poule nous la communique dans le sacrement de communion. Tous ces signes simples de l’intimité divine feront de nous un peuple auquel les gens voudront appartenir. Et très humblement, l’amour et la paix du Christ s’étendront à travers vos liens d’amitié, jusqu’aux cœurs les plus seuls et plus plus fatigués.

Mercredi des cendres

Le Père Austin m’a proposé de prêcher pour le Mercredi des cendres. Vous trouverez-ci dessous une traduction en français.

File:Wood ash.jpg - Wikimedia Commons

Peut-être êtes-vous un peu anxieux en ce début de Carême. On pense souvent au Carême comme au temps liturgique pendant lequel on est censé examiner de plus près nos péchés pour essayer de comprendre leurs origines et même leurs trajectoires catastrophiques si on ne fait pas amende honorable. Au début du Carême, vous pensez peut-être à vos addictions, aux mêmes erreurs que vous continuez de commettre ou à vos erreurs passées. Pourquoi suis-je si infidèle, inattentif, têtu ? Vous pensez peut-être aussi aux péchés dans lesquels nous sommes tous impliqués et qui se dressent devant nos yeux : l’effondrement écologique actuel, l’infidélité de l’Église, la détérioration des injustices sociales, les dangers de la guerre et de la division. Nous préférons fuir ou nous distraire que d’ajouter le désespoir au désespoir en y réfléchissant.

Le temps du Carême est certainement un temps difficile. Mais pas pour les raisons que je viens d’évoquer. Les attitudes que je viens d’évoquer ont peu à voir avec l’esprit du Carême. Pourquoi ? Parce que lorsque je parlais du péché, j’en parlais d’un point de vue humain ; et le péché vu seulement à travers des yeux humains n’est pas notre affaire ! Dans tout ce que j’ai dit, et dans toutes ces choses dans lesquelles vous vous êtes peut-être reconnus, et moi aussi, nous avons négligé la présence et l’action de Dieu. Notre esprit est tout à fait capable de prendre conscience de nos péchés, mais cette introspection nous est inutile — et même dangereuse ! — si nous ne regardons pas ces péchés, et nous-mêmes en tant que pécheurs, avec le regard aimant de Jésus. Nous sommes très bons pour lutter contre nos péchés, mais très mauvais pour les voir à travers les yeux de Dieu. Si cela est vrai, c’est parce que l’amour de Dieu dépasse toute intelligence humaine, comme vient de nous le dire le Psalmiste :

Mais autant les cieux sont élevés au-dessus de la terre,

Autant sa bonté est grande pour ceux qui le craignent;

Autant l’orient est éloigné de l’occident,

Autant il éloigne de nous nos transgressions.

Il est impossible à notre entendement humain de comprendre la miséricorde que Dieu nous offre, tout comme il est très difficile de voir que notre Maître en ce temps de Carême n’est pas étranger à nos péchés, nos fautes et nos compromissions. Nous sommes tellement convaincus que la perfection de Dieu nous rejette qu’il nous est difficile de les regarder avec les yeux de celui qui les connu dans sa propre chair.  Entrer en relation avec Jésus-Christ est cependant notre seul espoir et notre seul chemin à travers cette saison de Carême. Car « le Père a fait que celui qui n’a pas connu le péché soit fait péché pour nous, afin que nous devenions justice de Dieu en lui » . Jésus-Christ est allé plus bas dans notre désespoir et nos péchés que nous ne pourrons jamais aller. Il a combattu de pires batailles et les a remportées. Rappelez-vous ceci quand vous vous sentez abattus, quand vous réfléchissez à vos péchés ou aux péchés de notre humanité : Christ a toujours été plus bas. Alors que nous entrons dans ce temps de Carême, nous sommes appelés à la foi : nous sommes appelés à faire l’expérience qu’il n’y a aucune souffrance, aucune douleur, aucun doute, qu’il n’ait pas assisté et guéri par ses caresses.

De fait, le principal danger du Carême, et peut-être de toute vie chrétienne, n’est pas péché. Cela fait partie de notre nature humaine. Le reconnaître signifie que nous reconnaissons que nous sommes des fils et des filles de Dieu qui ont besoin de grandir dans la pleine stature de Christ. Le principal danger de toute vie chrétienne est de s’appropier nos péchés ; c’est croire qu’ils nous appartiennent en propre et ne dépendent que de nous. S’approprier nos péchés est tout aussi fautif que s’approprier nos bonnes actions. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Jésus dans l’Evangile d’aujourd’hui a un avertissement très fort contre ce que nous appelons l’hypocrisie. L’hypocrisie arrive lorsque quelque chose est fait pour le bénéfice social ou narcissique qu’on en tire, plutôt que par pure obéissance au commandement de Dieu. Nous donnons l’impression que nous donnons, mais en réalité nous donnons peu pour gagner plus pour nous-mêmes. Lorsque nous faisons cela, nous cachons le fait que nous espérons gagner quelque chose. Pendant le Carême, nous devons être conscients que cela se produit également avec nos fautes ou nos péchés. Ce ne sont pas seulement les bonnes actions qui alimentent notre désir d’acquérir du prestige, du pouvoir et une supériorité morale. Par ces attitudes, nous essayons de nous sauver nous-mêmes, d’établir notre propre nom et réputation, parfois même notre propre église, en laissant Dieu hors-champ.

Ce qui est si triste dans notre fascination et notre attachement aux péchés, c’est que si vous ne laissez pas le Christ les prendre, ils pourriront près de vous et rendra tout le monde malade à l’entour. Les péchés non pardonnés rendent nos sociétés malades ; ils nous font soupçonner le péché là où il n’y a pas de péché. Les péchés non remis détruisent la vraie joie et la vraie liberté. Ils contaminent d’autres domaines de notre vie avec leur sournoiserie. Nous finissons par nous mesurer nous-mêmes et les autres de la mesure des choses, des puissances et des créatures de ce monde, au lieu de nous mesurer par rapport à l’amour infini et dynamique de Dieu.

Si nous faisons de nos péchés ou de nos bonnes actions notre trésor, si nous les collectons, les classons ou les publions, nous mettrons notre cœur dans nos actions, qu’elles soient « bonnes ou mauvaises ». Nous faisons notre trésor ce que nous faisons, et nos cœurs ne battront plus pour le Créateur de tous et le Rédempteur de tous. La réalité est que rien de ce que nous avons et rien de ce que nous faisons ne nous appartient, et il en va de même pour nos péchés. Ils appartiennent à Jésus-Christ, et si nous ne le laissons pas les prendre, nous nous opposons en fait à l’amour de Dieu. « Dieu », comme le souligne Maurice Zundel , un prêtre suisse, « ne peut pas régner en nous sans nous, car Dieu est amour et l’amour ne peut être reçu que par l’amour ».

Comment donner quelque chose à quelqu’un ? En venant à lui ! On lui parle, on se présente, et petit à petit on voit une intimité naître et on donne ce qu’on a envie de donner. Et si vous avez beaucoup à donner, restez simplement plus longtemps ! C’est pareil avec les péchés que nous voulons donner à Jésus-Christ, nous pouvons nous approcher de lui et les lui présenter, simplement, avec humilité. Et quand nous sentirons ses yeux nous regarder, nous nous rendrons compte qu’il ne veut pas tant nos péchés qu’il nous veut nous-mêmes. Il veut se donner entièrement à nous. De ce côté de la Croix, nos péchés ne sont qu’un prétexte, une occasion de l’approcher, d’être marqués de son signe et reçus dans son corps. Donnez-lui vos péchés dans la prière et dans le silence, dans tout ce que vous faites ou manquez de faire : il les mettra de côté et vous regardera car il vous aime plus que tout ce que vous pourrez lui offrir. Il se donnera à vous. Et entre vos mains; ces mêmes mains qui s’accrochaient à vos péchés, il viendra se loger pour que vous grandissiez à sa ressemblance.