L’école de l’abandon

Voici le sermon que j’ai prêché dimanche dernier (deuxième dimanche de Pâques) à l’église St. Paul dans les murs. Le vendredi 22 avril était le Jour de la Terre.

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Une planche de Metamorphosis insectorum Surinamensium, 1707, par Maria Sibylla Merian.

La naissance des sciences naturelles, en particulier l’étude des insectes et des amphibiens, a vu le jour en Europe du Nord au XVIIe siècle. Une grande partie des fondements des sciences naturelles a été développée par des chrétiens courageux et fervents. Façonnés par leur méditation et leur prière profondes et intimes, ils ont appris à discerner l’œuvre et la volonté de Dieu dans le monde naturel d’une manière peu conventionelle. À l’époque, on savait peu de choses sur ces créatures si particulières qui semblaient habiter différents règnes du vivant : par exemple, les mouches qui avaient pour origine des vers ou des grenouilles qui commençaient leur vie comme des têtards ressemblant à des poissons.

Maria Sibylla Merian a été l’une des principales naturalistes de l’époque dont le travail a été salué comme précurseur dans le domaine de l’écologie. À 13 ans, Maria Sibylla a commencé à élever des vers à soie. À l’âge de 28 ans, elle avait publié son premier livre d’illustrations naturalistes. Merian allait devenir une illustratrice de premier plan, publiant des volumes de planches sur les chenilles, les insectes et les plantes. Ses illustrations ne sont pas seulement de véritables œuvres d’art et des études pionnières sur les insectes, mais elles sont aussi des louanges silencieuses à son Seigneur Jésus-Christ. En fait, elle s’est particulièrement concentrée sur l’étude des différentes étapes de l’évolution des papillons qui imitent la vie du Christ et la croissance spirituelle de tous les disciples du Ressuscité. Comme un papillon, notre Seigneur a commencé son humble vie près de la terre comme un humain, comme un ver; il a aussi gît mort dans la tombe comme dans une chrysalide ; puis, il a émergé pour s’envoler comme un papillon qui scintille vers le ciel, ou vers sa Galilée.

La coïncidence de Pâques et de l’équinoxe de printemps dans l’hémisphère nord est un timing tout à fait parfait. Le Bon Dieu dans sa providence sait nous parler à travers ce que nous pouvons vivre, pourtant notre lecture de ce matin nous dit que tout le monde n’avait pas pu voir le Ressuscité et croire en lui. Pourquoi quelqu’un comme Thomas, qui était un proche disciple du Christ, n’a-t-il pas pu croire en lui dès le début ? Mais quelqu’un comme Merian l’aurait pu ? Tout comme Thomas au début de notre lecture de l’Evangile, croire pour beaucoup signifie être sûr de d’une information. Croire se rapporte à un énoncé de vérité, et pour être sûr que quelque chose est vrai, vous avez besoin d’autant d’éléments de preuve que nécessaire. Cette attitude est devenue le modèle de la science moderne : les scientifiques construisent des théories véridiques en rassemblant des déclarations véridiques. Ils établissent, petit à petit, ce qui est vrai. Ce processus intellectuel est très efficace, mais il ne parvient toujours pas à traiter les êtres vivants comme de véritables êtres vivants. C’est la même différence qui existe entre connaître quelqu’un et l’aimer. Comment peut-on vraiment connaître nos enfants, nos partenaires, nos amis ou nos voisins si on vient vers eux avec des attentes autoritaires sur la façon dont ils sont censés être en vie pour nous ? Comment pouvons-nous connaître le ressuscité si nous le forçons dans nos méthodes et processus d’objectivation ? A être ceci ou cela ? Avec cette attitude basée sur la preuve, que Thomas incarne, il reste très peu de place au mystère. Très peu de place est laissée pour laisser le Christ entre librement en relation avec nous et nous lie les uns les autres ; très peu de place est laissée pour rencontrer la vérité au-delà de ce que nous avons fixé comme limites : « Si je ne vois pas la marque des clous dans ses mains, et ne mets pas mon doigt dans la marque des clous et ma main dans son côté, je ne croirai pas. « 

Heureusement, croire en Jésus en tant que Ressuscité ne fonctionne pas de la même manière qu’une enquête policière ou une étude scientifique moderne. C’est assez rassurant si, comme moi, vous n’avez jamais été fan de NCIS ou ne savez pas compter ! Nous n’avons pas à nous soucier d’un processus ou d’une méthode qui, le plus souvent, ne fait que révéler notre désir de contrôler et d’exercer un pouvoir sur ce que nous ne connaissons pas et qui nous fait donc peur. En effet, ce qui nous retient souvent de croire au Ressuscité, tout comme pour les disciples enfermés dans leur chambre et pour Thomas, ce sont les peurs. Nous sommes retenus par peur d’expérimenter comment cette rencontre pourrait nous changer ; par peur de voir Dieu dans des endroits où on ne voudrait pas qu’il se montre ; par peur de voir la réalité de l’amour et du devouement de Dieu qui désarme toutes nos tentatives de contrôle de nous-mêmes et des autres. Nous n’avons pas besoin de nous soucier de construire la vérité pour être rassurés. Pour nous, chrétiens, croire ne signifie pas rassembler des éléments de vérité sur Jésus comme Thomas le suspicieux voulait le faire. Plutôt, à la manière de Sibylla Merian, croire pour nous signifie rencontrer la puissance de Dieu à même sa Création, dans les multiples gestes qu’il nous adresse, les façons dont il nous courtise, comment il nous révèle les signes vivants de sa présence et de sa vie dans nos vies .

Si Merian a été capable de voir la résurrection et la vie de Dieu dans des endroits inattendus, c’est parce qu’elle s’est totalement abandonnée à son Seigneur lorsqu’elle a quitté sa ville natale en Allemagne pour la communauté religieuse des Labadistes aux Pays-Bas. Elle est partie courir après sa passion comme après des papillons. Elle s’est débarrassée de sa peur et s’est abandonnée à la présence aimante du Seigneur qu’elle a rencontrée dans sa création et son église. Tout comme pour les premiers disciples et pour Thomas, seule la paix vivante du Christ peut nous libérer de nos prisons intérieures et de nos tentatives de contrôle, qui mettent Dieu sous clef, loin de nous. On peut douter des idées, on peut douter des informations, mais on ne peut douter longtemps de la réalité d’une rencontre qui nous libère. On ne peut pas douter de ce dont on voit l’effet dans notre monde, dans nos vies, dans nos corps. On ne peut pas douter d’une rencontre qui a donné vie, joie et courage aux abattus et aux marginalisés.

La résurrection de Christ et nos propres résurrections peuvent être difficiles à comprendre. Nos doutes peuvent être plus forts que notre certitude. Mais Jésus, comme le printemps, comme le papillon sorti de sa chrysalide, continue de se montrer quoi qu’il arrive. Il est impatient que nous le touchions et que nous le voyions, car ce faisant, on reçoit cette paix que nous espérons, cette paix qui vient quand la mort n’a pas gagné. N’hésitons pas à nous abandonner à sa présence qui nous entoure, à travers les signes de son amour qui sont marqués sur sa création, ces signes que Merian a si bien vus. Jésus lui-même a sanctifié sa création pour nous aider à sentir, voir, goûter et savoir qu’il est ressuscité, que l’impossible est possible. Marie Madelaine l’a trouvé dans le jardin, nous l’y trouverons aussi. S’abandonner au Christ ne signifie pas s’éloigner de la réalité, être loin des choses ou des personnes: c’est par les choses, c’est par les gens qu’on croit en Dieu ; c’est à travers eux que nous nous abandonnons à lui et trouvons le courage d’aller de l’avant. Nous n’avons pas besoin de regarder plus loin que les arbres en fleurs juste devant ces fenêtres pour voir ses glorieuses plaies. Nous n’avons pas besoin d’aller plus loin que cet autel ce matin, pour recevoir son corps et son sang pour nous aussi être métamorphosés en lui. À travers tout ce qui nous entoure, le Christ s’abandonne à nous pour que nous puissions nous abandonner à lui.

Maria Sibylla Merian avait compris cela lorsqu’elle voyait la résurrection chaque fois qu’elle illustrait un papillon sortant de sa chrysalide ou une mouche se transformant de larve en pupa. Sa rencontre avec le Ressuscité dans l’étude de ses créatures lui a donné une passion et un courage outre-mesure. Ses volumes de croquis comprenaient très peu de mots et elle écrivait rarement sur sa foi. Cependant, devant l’un de ses carnets de croquis, elle a écrit deux mots simples en allemand : « Mit Gott« , « Avec Dieu ». Avec Dieu. Osons voir le monde avec Dieu, pour pouvoir nous métamorphoser avec Lui.

P.S. J’ai toujours eu un faible pour les papillons et les insectes (j’élevais des phasmes quand j’étais petit!) mais ce n’est pas avant 2014 que j’ai entendu parler de Merian. J’ai été fasciné par sa vie il y a quelques années lorsque je faisais mon Master en littérature française à la Sorbonne. Je faisais alors des recherches sur la poésie dévotionnelle de l' »Église du Seigneur », une communauté piétiste bilingue qu’elle avait rejointe aux Pays-Bas. J’ai été alors frappé par les similitudes entre la vie spirituelle de cette communauté et son propre travail de scientifique et d’artiste. Cela m’a conduit à partager les résultats de mes recherches lors de la Conférence internationale et interdisciplinaire organisée à Amsterdam en 2017. L’aspect dévotionnel de la recherche scientifique est généralement peu connu du grand public, pourtant je pense que c’est un témoignage important à méditer, une bonne nourriture pour la prière, si nous voulons être des intendants fidèles de la Terre que notre Seigneur nous a confiée.

Relevés des ruines

Voici  une traduction du sermon que j’ai prêché en anglais à la Vigile de Pâques à l’église St. Paul dans les Murs.

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Paul Nagai, un médecin japonais décédé lentement d’une leucémie après la destruction nucléaire de sa ville de Nagasaki dans un éclat de lumière, le Dr Nagai, raconte comment il a entrevu l’immortalité dans le dernier regard de sa mère mourante. Il étudiait alors la médecine, il était matérialiste, comme la plupart de ses camarades. Quand soudain, devant ce mystère, devant le regard de sa mère si présent de lumière et d’amour, il fut secoué jusqu’au plus profond de son être, se disant : « Il n’est pas possible qu’un tel regard soit condamné à la mort. »

Dans le regard de sa mère mourante, le docteur Nagai, il a vu que l’éternité et la résurrection sont notre vraie réalité. C’est ce que signifie pour nous la résurrection du Christ d’entre les morts : quand nous aimons, même la mort ne peut nous contenir. Ce mystère que Nagai a entendu et qui l’a amené à devenir chrétien est un reflet du mystère de l’amour de Dieu pour nous quand nous souffrons ou mourons. Dieu a été si constamment présent avec nous comme nous venons de l’entendre dans la Bible, si constamment présent dans nos souffrances et nos infidélités que nous ne pouvons qu’être ébranlés par la réalité que ni nos souffrances les plus profondes ni notre mort n’ont pu l’empêcher d’être proche de nous . Lui seul peut, dans ces lieux où l’on ne voit qu’imperfection, déchéance, abus et solitude, lui seul peut, dans ces lieux où l’on ne veut pas aller et que l’on rejetter totalement, pénétrer et les transformer intérieurement par sa vie divine. Lui seul peut nous ramener avec lui au pays des vivants.
Cette nuit est la nuit où nous savons et expérimentons plus que tout autre moment de l’année liturgique que notre Seigneur est celui qui nous ressuscite des enfers que nous avons créés et ceux dont nous avons hérité. Cette nuit, le Christ nous réveille tendrement de notre sommeil mortel pour vivre à nouveau avec lui. Sa lumière ne monte pas comme un champignon atomique, elle ne nous force pas à la reddition. Elle nous vient tendrement dans les paroles de l’Exultet qui résonnent dans ce sanctuaire obscur, elle nous vient à la lumière du cierge pascal et des eaux vives versées sur le front des baptisés, elle nous vient comme l’Esprit de Dieu coule, piano ma lontano. Prenons un moment pour contempler la puissance et la tendresse de sa résurrection.

Nous allons bientôt renouveler ensemble nos vœux de baptême en Christ. Ces paroles que nous allons prononcer ne sont pas une formule religieuse mais notre déclaration d’amour à Dieu faite avec ces mêmes paroles qu’il nous a données. Nous réaffirmerons avec les paroles de notre bouche notre baptême en Jésus-Christ, nous sentirons sur nos lèvres combien nous sommes un avec lui. Nous ferons l’expérience de la façon dont il place tendrement sa puissance sur nos lèvres et entre nos mains, comment nous participons à sa résurrection et à ses promesses pour la vie du monde. Le Christ « nous renouvelle » cette nuit « dans son amour » comme vient de le dire le prophète Sophonie, et toute notre joie à chaque instant de cette année, toutes nos prières, tous nos remerciements et notre communion, même toutes nos pénitences découleront de la résurrection présente de notre Seigneur. Toutes les paroles que nous lui adresseront répondront à sa résurrection éternelle à laquelle nous participons : « Ô Israël ! Réjouissez-vous et exultez de tout votre cœur ! » Ce soir, nous avons été réveillés par le battement de son cœur ressuscité qui ne se taira plus.

Immédiatement après la destruction de la cathédrale catholique de Nagasaki, Paul Nagai, avec ses frères et sœurs chrétiens, se sont mis à l’oeuvre pour redresser avec une grue les cloches de la cathédrale qui étaient tout ce qui restait de cet édifice détruit par la bombe atomique. Ils les ont hissé et les ont fait chanter dans la nuit, à genoux dans un champ de ruines. Comme les cloches de Nagasaki, les cloches qui sonneront pour la résurrection de notre Seigneur ne célébreront pas la perfection ou la pleine restauration de ce monde. Elles chanteront pour la résurrection de notre Seigneur. Dans ce monde brisé, elles chanteront l’humble lumière du cierge pascal et sonneront comme les cloches de Nagasaki qui n’ont pu être condamnées à mort.

Never Give Up: The Bells of Takashi Nagai

+ La Settimana Santa +

Voici quelques photos des célébrations de la Semaine Sainte à Rome. Il est difficile de résumer ou d’expliquer ce que l’on ressent en étant à Rome pour cette semaine très spéciale au cours de laquelle nous sommes tous invités à participer, grâce à la liturgie de l’Église, à la mort et à la résurrection de Notre-Seigneur. L’Esprit intercède durant cette Semaine de manière très intime, avec des soupirs souvent trop profonds pour être exprimés.

+ Le Dimanche des Rameaux+

La Semaine Sainte a commencé à St. Paul par une procession oecuménique organisée avec nos frères et soeurs Catholiques et Orthodoxes roumains.

+ Le Lundi Saint +

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Le Lundi Saint le Centre Anglican a organisé une veillée de prière oecuménique. Ce moment de prière nous a permis d’entrer dans le mystère de cette très sainte semaine.

Vous pouvez regarder une vidéo du service en cliquant sur le lien suivant : https://fb.watch/cJ0ocXW0Sv/

+ Le Mardi Saint +

Le mardi saint, une Messe chrismale a été célébrée à l’église anglicane All Saints’ sur la Via del Babuino. All Saints’ est la paroisse de l’Église d’Angleterre à Rome. L’évêque Hamid a célébré et l’archevêque Ian Ernest, directeur du Centre anglican, était également présent. De nombreux membres du clergé du Diocèse Anglican en Europe étaient également présents pour renouveler leurs vœux d’ordination.

Vous pouvez regarder le service sur la page Facebook de l’église anglicane All Saints’.

https://www.facebook.com/allsaintschurchrome

+ Le Mercredi Saint +

Un service de Ténèbres s’est tenu à St. Paul’s mais j’ai été tellement happé par cette ambiance de prière que je n’ai pas pris de photo..!

+ Le Jeudi Saint +

Le Jeudi Saint, nous avons célébré le dernier repas de Notre-Seigneur à Saint-Paul avec le rite du lavement des pieds. À Rome, le Giovedi Santo, il est également de coutume de visiter autant d’églises que possible car elles sont ouvertes jusque tard dans la nuit pour que les visiteurs prient auprès de leurs reposoirs.

Ci-dessous, vous verrez une photo des neuf églises (!) que j’ai visitées ce soir-là avec mon colocataire Edoardo. Edoardo est romain et savait exactement où aller pour voir les plus beaux reposoirs ! J’ai particulièrement apprécié l’autel de la Santissima Trinità dei Pellegrini. Le reposoir du Jeudi Saint (sepolcri en italien et altar of repose en anglais) est l’une de mes dévotions préférées pendant la Semaine Sainte. Je suis particulièrement touché par leur atmosphère d’abandon paisible créée par les plantes, les fleurs et les lumières des bougies.

“Non pas ce que je veux mais ce que tu veux »

Santissima Trinità dei Pellegrini
The Venerable English College
Santa Maria Maggiore
Santa Caterina a Magnanapoli
Sant’Agnese
Sant’Ignazio

+ Le Vendredi Saint +

Le Vendredi Saint, St. Paul organisait un chemin de croix bilingue (Anglais-Espagnol), suivi par la liturgie du Vendredi Saint. Vous pouvez visionner la liturgie ci-dessous.