Le printemps se fait déjà sentir ici à Rome même si les matins sont encore froids. Plusieurs événements ont été l’occasion de rencontres oecuméniques passionantes ces derniers temps et je vais essayer de vous en donner un aperçu dans mes prochains articles.
L’archevêque Ian Ernest et moi-même sommes allés à la conférence qui se tenait pendant trois jours au Vatican sur le sacerdoce. Cette conférence se voulait une réponse aux difficultés que traverse l’Eglise catholique romaine en ce moment, notamment après que des prêtres ont utilisé leur position d’autorité pour abuser des personnes qui étaient placés sous leur soins. Le séminaire ne s’est pas tellement attardé sur les raisons des abus, qui ont été renvoyé à un possible autre séminaire. Les communications cherchaient surtout à aborder les réalités de la prêtrise dans l’église catholique de manière pastorale et théologique sans la limiter (du moins c’était l’intention initiale!) au sacerdoce ministériel (c’est-à-dire le sacerdoce des prêtres ordonnés). Il a en effet été un peu question du sacerdoce de tous les baptisés (sacerdoce baptismal) que le processus synodal actuel qu’a lancé l’Eglise catholique et sur lequel je reviendrai tente de faire valoriser à nouveau. La leçon inaugurale du Pape était certainement la plus inspirante des communications, car, contrairement à beaucoup d’autre, il abordait les réalités du sacerdoces d’un point de vue spirituel et pastoral et non purement théologique ou historique. Voici le lien vers un compte-rendu de son discours.
Malheureusement, la communication que nous attendions le plus et qui devait porter sur les enjeux oecuménique du sacerdoce fut assez décevante. Le Cardinal Koch s’est limité aux relations de l’Eglise catholique avec les Orthodoxes et les Luthériens, ignorant magistralement les dialogues anglican-catholiques. Globalement les présentations étaient très intéressantes et ont nourri des discussions passionnantes entre ++Ian et moi sur les différences et les similarités entre les conceptions anglicane et romaine de la prêtrise. Les pauses cafés m’ont aussi permis de rencontre des séminaristes catholiques du Séminaire français de Rome ainsi que le Recteur du Collège Beda, un des séminaire anglais de Rome. Ils m’ont tous invité à leur rendre visite, ce qui fera matière à d’autres articles !
L’archevêque Ian Ernest, directeur du Centre anglican, m’a invité à prêcher pour notre Eucharistie du mardi. Voici le texte du sermon et un lien vers la vidéo du service sur la page Facebook du Centre anglican.
Mardi 22 février
Centre anglican, Rome
Jacques 4.1-10 ; Ps 55:7-24 ; Marc 9.30-37
Les lectures que nous venons d’entendre sont difficiles, car elles parlent de conflit, ce dont nous ne voulons généralement pas entendre parler dans l’église ou dans le monde. Ces lectures portent sur des attitudes concurrentes et des visions du monde antagonistes qui, d’un point de vue humain, semblent irréconciliables. Pour beaucoup de nos frères et sœurs à la marge de l’Église, et pour nous, entendre Jacques déclarer que « l’amitié avec le monde est inimitié avec Dieu» peut sembler très dur et un radicalement choquant. Voyez ces chrétiens qui n’aiment pas notre monde, qui rêvent juste du ciel et condamne tout ici-bas comme pécheur ! Il est vrai que la crise écologique moderne actuelle peut être attribuée à certains enseignements chrétiens qui ont été mal utilisés et mal interprétés. Les préjugés négatifs sur le monde dans certains milieux religieux chrétiens ont donné lieu à une forme d’opposition stérile entre le matériel et le spirituel et ont conduit à un rapport abusif à la création divine. Pour reprendre les mots de Gilbert Chesterton, on peut dire que la crise écologique dans laquelle nous vivons aujourd’hui est la conséquence des « vieilles vertus chrétiennes devenues folles ».
Cette incompréhension des enseignements chrétiens était déjà possible à l’époque de Jacques. Pour les contemporains de Jacques comme pour nous aujourd’hui, le cosmos en question faisait référence à l’univers, le lieu où nous vivons, notre biotope, peuplé de réalités physiques et spirituelles. Alors que l’effondrement écologique nous oblige à réaliser que nous abusons continuellement de la création que Dieu nous a confiée, l’affirmation selon laquelle «l’amitié avec le monde est inimitié avec Dieu» semble encore plus scandaleuse. Pourquoi avoir de l’amitié, de la compassion pour notre monde souffrant des conséquences du changement climatique pourrait faire de nous des ennemis de Dieu ? Comment pourriez-vous opposer à Dieu l’amitié avec ce monde, qui est notre environnement, le lieu où nous vivons, où nous nous réjouissons et souffrons ? Cela n’a vraiment aucun sens et c’est profondément révoltant. C’est non seulement absurde mais aussi contraire à l’esprit de l’Evangile et à l’enseignement de Jésus-Christ. Comment pouvons-nous alors comprendre ce que Jacques nous dit concernant l’amour rédempteur du Christ pour nous ? La réponse à cette question cruciale se trouve dans la manière dont Dieu agit dans ce monde et nous enjoint de participer à sa vie rédemptrice. L’Evangile que nous venons d’entendre nous offre un chemin de transformation qui n’est pas celui de la condamnation mais celui de la collaboration et de la communion.
L’attitude des disciples qui discutent sur la manière de savoir qui est le plus grand ne doit pas nous surprendre. C’est notre manière normale d’être et de penser lorsque nous nous comparons les uns aux autres, lorsque nous voyons des qualités ou des défauts que nous pensons reconnaître chez les autres ou en nous-mêmes. Suis-je meilleur ou pire que mon collègue ? Meilleur ou pire que mon ami ? Meilleur ou pire que ce frère ou cette sœur assis à côté de moi ? Cette attitude se retrouve dans tous les milieux où les humains vivent ensemble, et même lorsque nous sommes seuls, nous pensons toujours de cette façon. Vivre ensemble entre humains peut favoriser la compétition et l’envie : cela se passe à la frontière entre les nations, sur les marchés entre les entreprises, à l’école entre les élèves ou dans nos familles. Lorsque, comme les disciples, nous cherchons à nous juger, à nous évaluer, nous basons notre jugement sur des idées, des faits, des choses qui sont toujours de toutes petites parties de la réalité. Dans notre communion d’Églises, nous avons aussi tendance à rivaliser sur des questions de liturgie, de normes morales et d’une plus grande fidélité à la Bible ou à la tradition. Nous nous disputons souvent pour savoir qui est le plus grand. Nous pensons que nous pouvons juger l’ensemble, que nous pouvons nous juger et nous évaluer, en fondant notre jugement sur notre toute petite compréhension humaine d’une situation. Nous pensons que certaines analyses savamment assemblées peuvent être un argument contre un tout qu’on ne connaît jamais. Mais comment juger, quand, contrairement au Christ qui lit dans le cœur de ses disciples, nous ne connaissons pas le cœur de l’homme et la plénitude de l’amour de Dieu ?
L’attitude de Christ dans l’Evangile est totalement différente de cette attitude mondaine que je viens de décrire. Le Christ ne s’engage pas dans la querelle entre les disciples pour savoir qui est le plus grand. Il ne recueille pas les jugements, il ne fait pas des dossiers comme les juges de ce monde. Il ne les hiérarchise pas, il ne les classe pas selon leur ancienneté, leurs compétences ou leurs dons. Quelle différence avec tout ce que nous faisons, tout ce que nous disons et tout ce que nous entendons les uns sur les autres chaque jour ! Au lieu de cela, le Christ s’écarte de la lutte de pouvoir en remontant à la source de tout pouvoir, c’est-à-dire sa propre autorité mise au service de tous. Alors que les disciples se jugent de manière anarchique et futile, rivalisent et commentent comme nous le faisons sur les réseaux sociaux, Jésus, comme le Seigneur dans le prophète Joël, s’assoit pour juger son peuple.
Le genre de pièce de théâtre qu’il joue quand il met un petit enfant parmi eux et l’embrasse est une leçon de choses. C’est un signe prophétique qui s’apparente au mime prophétique d’Ezéchiel ou aux happenings théâtraux et politiques d’aujourd’hui : Jésus-Christ ne nous enseigne pas principalement à travers des idées, des valeurs ou des catégories que nous pouvons facilement ramasser et utiliser comme des armes l’un envers l’autre. Il nous accueille dans son royaume en nous montrant qu’elle est l’ultime réalité divine qui se révèle elle-même : la dynamique du service. Les gestes prophétiques qu’il accomplit mettent en scène pour nous tous la réalité de la vie eucharistique, une vie ordonnée par le fait de recevoir et de donner, non par le jugement. Ce geste prophétique, qui est un jugement de Dieu, est une réponse à l’attitude divise de compétition des disciples : il nous enseigne que la seule manière par laquelle nous sommes appelés à rivaliser est en en étant plus désintéressés dans notre service les uns envers les autres, au point que nous devenons transparents à Dieu en s’offrant comme lui de façon désintéressée.
Le mystère de l’Eucharistie dans lequel nous allons entrer est la nourriture qui nous permet de grandir et d’atteindre la pleine stature du Christ. Elle nous permet aujourd’hui de nous imprégner de la réalité du Royaume et de son sens du service à même ce monde. Tout comme ce petit enfant parmi les disciples, l’Eucharistie est un mystère silencieux, un tout petit et tout simple repas. C’est à peine un repas comme un enfant est à peine un homme ou une femme, mais si nous l’accueillons, nous sommes aussi accueillis dans la dynamique divine de l’amour, et devenons capables de la partager. Par ce petit morceau de pain (le corps de notre Seigneur), par cette coupe de vin (le sang de notre Seigneur), nous pouvons entrer dans l’ordre de grandeur du Royaume dans lequel la petitesse et le service nous font grandir et nous restaurent. De cet autel découle tout le mystère eucharistique de nos vies qui rend nos relations, nos ministères et notre vie quotidienne de disciples du Christ veritablement divines. L’Eucharistie est le mystère dans lequel notre monde brisé se réconcilie avec Dieu en Jésus-Christ.
Cette vie eucharistique est dynamiquement différente de ce qui a conduit à l’effondrement écologique actuel. La crise écologique actuelle est le fruit d’un esprit mondain d’intérêts égoïstes et de compétition et d’une profonde incompréhension de ce que signifie être serviteur de Dieu dans ce monde. Au contraire, se nourrir de l’Eucharistie est le remède à la compétition et à la division du monde qui conduit à sa destruction écologique et à notre propre mort. En se donnant à nous, et en traçant par là un chemin-retour vers lui, Dieu nous commande en Jésus-Christ d’ordonner nos vies selon les plus petits serviteurs de ce monde : « Qui veut être le premier doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. ‘ Il s’est fait le serviteur de tous pour que nous puissions nous réconcilier avec lui. Pour ce faire, il a osé s’offrir à nous sous les espèces du pain et du vin, et être sacrifié comme l’Agneau de Dieu. Comme il l’a osé, nous pouvons aussi oser voir le « petit enfant » d’aujourd’hui dans nos frères et sœurs silencieux : tous les êtres humains et non-humain qui n’ont pas voix au chapitre. Les minéraux, les plantes, les animaux sont aussi notre propre enfance dans la grande histoire de l’évolution par laquelle Dieu se révèle. Nous sommes invités, à cet autel et dans nos vies à les accueillir en son nom pour l’accueillir lui et le Père qui l’a envoyé. Être disciples du Christ aujourd’hui, c’est se rappeler l’urgence d’arrêter de rivaliser les uns avec les autres. Nous sommes plutôt invités à laisser nos vies être transforée en une vie eucharistique. Cela implique un engagement fort et concret au service écologique dans un esprit de fraternité. De ce service commun dépend la crédibilité de notre témoignage chrétien aux yeux de ceux à qui le Christ nous envoie comme ses disciples.
On m’a proposé de prêcher lors de l’Eucharistie dominicale à Saint-Paul hier. Ce dimanche a également été une étape importante dans l’histoire de la communauté ecclésiale car c’était les 10 ans de l’arrivée du Père Austin à St Paul.
Vous trouverez ci-dessous le texte traduit du sermon ainsi que l’audio en anglais.
En tant que jeune prédicateur et nouveau venu parmi vous, je suis soucieux d’être pertinent, plus que je ne devrais probablement l’être. On dit que les congrégations aiment les sermons pertinents. Le dictionnaire Merriam Webster définit la pertinence comme ceci : « ayant une incidence significative et démontrable sur le sujet en question », mais aussi « ayant une pertinence sociale ». Comme on ne se connaît pas vous pouvez légitimement vous demander comment ce jeune Français peut avoir une « pertinence sociale » pour prêcher à nous, des gens qu’il connaît à peine, dans une ville où il est arrivé il y a un petit mois ? Je me suis posé la même question moi-même quand j’ai commencé à écrire ce sermon. La Bible nous donne plus d’un exemple du fait que les discours publics pertinents inspirés par l’Esprit de Dieu (ce que nous appelons dans le jargon de l’Eglise des sermons) ne dépendent pas d’une connaissance sociologique de l’auditoire. Ni du statut, de l’éducation ou des compétences du prédicateur. Voilà qui est réconfortant ! Surtout aujourd’hui où je monte en chaire après Jésus-Christ lui-même !
Dans l’Evangile, c’est bien Jésus que nous avons entendu prêcher aujourd’hui. Ce passage est souvent appelé le « sermon sur la plaine » parce que Jésus descend du mont des Oliviers pour s’adresser à ses disciples, et (sous-entendu) aussi pour s’adresser à la foule et à la grande multitude qui est venue le suivre. Si le sermon de Jésus est en tous points différent de ce qu’un prêtre oserait prêcher, cette foule est cependant à peu près identique à nous ici ce matin. C’est un mélange composite et cosmopolite de personnes : « Une communauté de personnes fortes et de personnes faibles, une communauté composée de personnes fidèles et de personnes qui manquent de foi, de personnes riches et de personnes pauvres, de personnes qui ont été guéries. et de gens qui aspirent à être guéris… [1]» Ils venaient, comme nous, de différentes régions, avaient différentes langues maternelles et différents horizons. Cette foule changeait probablement constamment, les gens allaient et venaient, et beaucoup parmi cette multitude ne partageaient pas la culture juive de Jésus. Comment l’enseignement de quelqu’un pourrait-il être pertinent pour une telle multitude ? Comment pouvait-il parler à la fois aux Judéens, aux habitants de Jérusalem et aux habitants de la côte ? Comment pourrait-il être significatif pour ses disciples proches ainsi que pour les personnes qu’il rencontre pour la première fois ?
Et pourtant, ce que dit Jésus à cette multitude mélangée est infiniment pertinente, même pour nous aujourd’hui, dans un pays qu’il n’a jamais visité. Si elle est si pertinente, c’est qu’il ne prêche pas de lui-même, mais comme il le dit souvent dans l’Evangile, à partir de la communion d’amour qu’il partage à la fois avec son Père , et avec nous, ses frères et sœurs. Jésus est pertinent parce qu’il nous relie les uns aux autres et au Père. Aucune idéologie, aucune méthode, aucun égocentrisme n’entrave le flot des paroles de Jésus qui nous abreuve tous. Les quatre « bénis » et les quatre « malheur » qu’il annonce à la multitude découlent de la même source : ils manifestent tous le pouvoir de Jésus de libérer, ou de « décoller » ceux qui s’identifient à ce qu’ils ne sont pas . Vous êtes dans la souffrance ? Prenez courage, votre souffrance n’est pas ce que vous êtes Êtes-vous satisfaits? Dieu a quelque chose de meilleur pour vous, votre satisfaction n’est pas non plus ce que vous êtes. Mais les bénédictions et les malheurs de Jésus font plus que cela, ils font plus que s’adresser à notre moi individuel, laissant chacun de nous régler ses problèmes par lui-même. La symétrie de ces bienheureux et de ces malheureux invite cette foule – tout comme elle nous invite aujourd’hui – à les considérer comme intimement liés, à voir les besoins et les dons de chacun comme mutuellement interdépendants. Si vous êtes , ou avez tellement, vous pouvez donner plus aux autres et êtreplusprésent pour eux. Si vous avez peu et que vous êtes petit aux yeux du monde, vous pouvez recevoir encore plus et enseigner mieux que quiconque la reconnaissance. Dans les paroles de Jésus, les bénédictions et les malheurs de ce monde sont réconciliés pour favoriser la guérison, tout comme les guérisons miraculeuses des malades sont des signes de la puissance de Dieu et de son Royaume à venir.
Jésus nous rend pertinents les uns pour les autres, tout comme sa mort et sa résurrection sont pertinentes pour nous tous, comme le souligne saint Paul. Si nous nous traitons mutuellement de dérisoires ou d’insignifiants, nous ne croyons pas à la pertinence de Jésus, ni à son pouvoir de guérir ce monde. Jésus lui-même ne dit jamais à personne que ça ne sert à rien qu’il le suive, qu’il n’a pas d’importance. Il ne dit à personne qu’ils ne sont pas pertinents. Et qui plus est, comme ils le suivent ensemble sur le chemin, ils sont aussi invités à se suivre mutuellement ; pour découvrir la pertinence de chacun. C’est ainsi qu’avance une foule et on peut observer la même chose avec des groupes de touristes à Rome : même s’ils suivent un guide, ils finissent tous par marcher l’un après l’autre, parfois devant, parfois à côté, parfois un peu en arrière, mais jamais seul.
Ces gens dans la plaine ont la possibilité de suivre Jésus, tout comme ceux d’entre nous qui sont ici. Si nous continuons à nous venir, si nous continuons à nous joindre à cette foule, l’écart entre les bénédictions et les malheurs se réduira . Le fossé entre vous et moi se rétrécira, entre nous tous, et entre Christ et chacun aussi. Tous les sermons que Jésus prononce dans l’évangile de Luc nous le disent. Se rendre présent, venir est aussi pertinent et radical que la présence de Jésus parmi nous. Présentez-vous, venez régulièrement; construiser le Royaume.
Lorsque vous vous êtes rassemblés comme cette foule, quand vous êtes venus ce matin, vous vous attendiez probablement à entendre la Parole de Dieu partagée par quelqu’un dont vous connaissez la voix. Certainement pas par moi, naturellement, car nous ne nous connaissons pas encore. Je parle bien sûr du Père Austin, votre Recteur, qui n’est pas sur cette montagne aujourd’hui, mais de « plain-pied » avec vous comme Jésus quand il s’adressait à ses disciples et guérissait les foules ! Aujourd’hui, nous célébrons le 10e anniversaire d’Austin à St. Paul’s. C’est dix années où il a été là pour vous. C’est dix années où il a guidé une foule toujours changeante et mouvante de disciples du Christ dans cette ville de Rome. Dix ans où il a maintenu ensemble dans les soins et les prières de Dieu une communauté aussi diverse que vous tous qui êtes ici en personne ou par Internet. Dix ans qu’il a été présent à ceux qui sont aujourd’hui absents. Dix ans où il a montré la pertinence de chacun les uns par rapport aux autres alors qu’ils avancent ensemble le Royaume de Dieu à Rome, en soutenant les ministères complémentaires de l’Église et du JNRC. Et dix ans aussi pendant lesquels toi, Austin, tu t’es donné à ce peuple. Si tu as besoin d’une preuve de ce que je dis, tout ce dont tu dois te rappeler, c’est que tu parles maintenant italien comme un vrai pompiste romain, come un benzinaio vero ! Tu ne seras jamais à sec. Tous ces efforts silencieux le Psalmiste les compare – d’une manière plus écologique – à un arbre qui pousse silencieusement (mais sûrement!) des racines et des branches pour que les gens se reposent à son ombre. Même lorsque le sol semblait recouvert de neige comme le jour de ton arrivée à Rome, au plus profond de ce sol, le Seigneur travaillait déjà à ce que tes racines atteignent sa source de vie. Tout ce que vous avez fait a été pertinent aux yeux de Dieu et aux yeux des personnes que tu as servies, à travers les malheurs et les bénédictions.
Je ne suis pas là depuis longtemps, mais je me souviens de ce qu’Austin m’a dit lors de notre première passegiata ensemble, il y a plus d’un mois. C’était le premier sermon que j’entendais à Rome à propos de l’Eglise, ce qui n’est pas rien ! Je pense qu’il serait très pertinent de vous le partager ce matin afin que vous ayez trois sermons pour le prix d’un : une grande nuée d’étourneaux dansait dans le ciel romain, et le Père Austin les a comparés à l’Église, à une belle congrégation . Dans leur danse, chaque étourneau est pertinent. Ils se présentent, ils viennent et volent ensemble dans la brise pour que tout le monde puisse les voir et rendre grâce à Dieu.
Joris Bürmann, MA, MDiv
Missionnaire YASC
[1]Le révérend Teddy Hickman-Maynard, «Following without Faith», The Memorial Church, Harvard, 26 octobre 2021.
Aujourd’hui c’est la fête de la Présentation de Jésus au Temple de Jérusalem, qui a lieu quarante jours après sa naissance. On appelle parfois aussi cette fête, la Purification de la Vierge Marie car il était d’usage que les nouvelles mères se présentent au temple pour être purifiées rituellement. On donne aussi à cette fête le nom de la Chandeleur du nom des chandelles qui sont traditionnelles bénies en cette occasion.
À Rome, le début du mois de février était déjà associé à des fêtes polythéistes de purification comme les Lupercales et les Feralia avant l’arrivée de la foi juive et chrétienne. La purification et la lumière sont des réalités voisines et se retrouvent par exemple dans tous les dérivés du verbe latin lustro qui signifie à la fois « purifier par un sacrifice », « examiner » et « éclairer » (cf. les termes « lustrer » et « lustre »).
Février marquait aussi la fin de l’année romaine qui commençait en mars. Pour les anciens Romains cette saison annonçait un renouveau, le retour de la lumière et de la fécondité. Les fêtes des Lupercales qui étaient commémorées à ce moment-là rappelaient le sauvetage de Romulus et Rémus par une louve après qu’ils ont été livrés aux eaux du Tibre en crue. Pour les anciens Romains, ce sauvetage inattendu du futur fondateur de Rome et de son frère témoignait de la faveur divine qu’avait reçu leur Cité. Dans le retour du printemps, de la lumière et de la fécondité, dans ce sauvetage de leur fondateur, ils voyaient la providence céleste à l’œuvre et la célébraient.
Lorsque le 2 février 494 le Pape Gélase Ier organise une procession aux flambeaux dans la Ville pour commémorer la présentation au temple de Jésus, les Romains sont invités à relire l’histoire de leur fondation, leur propre histoire, à la lumière de ce salut annoncée par Siméon cet honorable vieillard qui, en recevant le bébé Jesus dans le temple, déclare :
Maintenant, ô Maître souverain,
tu peux laisser ton serviteur s’en aller
en paix, selon ta parole.
Car mes yeux ont vu le salut
que tu préparais à la face des peuples :
lumière qui se révèle aux nations
et donne gloire à ton peuple Israël.
En cette fête, à Rome ou ailleurs, Romains anciens ou nouveaux, de sang ou de cœur, sont invités à relire leur histoire nationale, l’histoire de leurs origines quelles qu’elles soient à la lumière de la venue du Christ dans ce monde. Comme la longue vie d’attente de Siméon, comme l’histoire de la fête des Lupercales, notre histoire personnelle et communautaire n’est pas annulée par la promesse divine réalisée en Jesus-Christ : c’est en ces histoires que Dieu a trouvé de quoi entrer dans les cœurs des Romains et les nôtres aujourd’hui. Célébrer la présentation au Temple de Jésus qui, n’étant pas sous la loi a pourtant obéi à la loi, nous invite à aller au-delà de nos propres origines, de nos propres limitations, de nos préjugés et notre esprit de clocher. Le cantique de Siméon nous fait contempler notre propre vie, notre histoire et nos attentes mais nous rappelle que notre identité véritable est au devant de nous, dans la gloire de Jesus-Christ et de ses saints qui se révèle au monde, plus que dans nos exploits ou nos épreuves passés.
Lors de la fête de la présentation de Jésus au Temple on ne célèbre pas les fondateurs d’une Ville au pouvoir impérial mais les premières lueurs d’un complet renversement des règles de ce monde. Un monde où ce ne sont pas les empires, les hégémonies, les cultures, les races, les langues ou les identités quelles qu’elles soient qui nous définissent, nous rassemblent ou nous séparent mais Jésus-Christ lui-même qui est :
Pendant la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens nous avons rendu visite à plusieurs institutions et communautés catholiques où nous avons été très chaleureusement accueillis.
La visite qui m’a le plus marquée est celle que nous avons faite à la Communauté Sant’Egidio dans la paroisse de Santa Maria in Trastevere. La communauté de Sant’ Egidio est une œuvre de laïcs catholiques fondée en 1968 juste après le concile Vatican II qui a amorcé une grande période de renouveau et de ressourcement dans l’Eglise catholique romaine.
Ses fondateurs à l’époque étaient des adolescents qui aspiraient à vivre dans une communauté sur le modèle des Actes des Apôtres et le ministère de Saint François d’Assise. Tous les soirs ils se réunissaient pour prier et aider les plus démunis durant les années d’après-guerre où de nombreux romains vivaient encore dans des bidonvilles. Par la suite la communauté s’est étendue jusqu’à devenir internationale et s’est diversifiée dans son travail d’assistance et de réconciliation résumé. On résume sa vocation à trois P :
Preghiera (la prière) : c’est l’œuvre principale de la communauté, fondée sur l’écoute de la parole de Dieu et l’intercession.
Poveri (les pauvres) : ils sont les frères, les sœurs et les amis de la communauté. Comme le définit leur site « L’amitié avec ceux qui sont dans le besoin – personnes âgées, sans domicile, migrants, personnes handicapées, détenus, enfants des rues et des périphéries – est un trait caractéristique de la vie de ceux qui participent à Sant’Egidio sur les différents continents. »
Pace (la paix) : « La conscience que la guerre est la mère de toutes les pauvretés a conduit la Communauté à travailler pour la paix, en la protégeant là où elle est menacée, en aidant à la reconstruire, en facilitant le dialogue là où il s’est arrêté. Le travail pour la paix est vécu comme une responsabilité des chrétiens, et constitue une partie du service global à la réconciliation et à la fraternité qui se concrétise notamment dans l’engagement œcuménique et le dialogue interreligieux dans « l’esprit d’Assise ». »
Comme nous l’a expliqué avec humour et éloquence un des membres, faire partie de Saint’Egidio n’a rien d’un « ministère » mais c’est une « vocation », car ce qui compte en premier lieu c’est d’être « disponible et présent aux blessures et aux plaies de ce monde, quelles qu’elles soient ». C’est pour ça que la communauté ne s’est pas limitée à un seul type de service. Dans tous les cas, la communauté est rassemblée par la prière de manière quotidienne, le soir, dans un esprit de liberté et de libre participation qui témoigne de l’influence de la pensée libertaire des années 1960 et des mouvements de libération comme la communauté catholique de Solentiname, initiée par Ernesto Cardenal au Nicaragua.
Sant Egidio a pour vocation de se trouver à la marge de la société dans laquelle ils sont présents et où se trouvent toujours les plus vulnérables. La communauté agit pour rétablir leur santé et leur dignité, manifestant ainsi l’unité et la paix que Jesus-Christ offre à tous ceux qu’on a exclus ou rejetés. Jésus nous le rappelait dans l’évangile dimanche dernier :
« Je vous le déclare, c’est la vérité : aucun prophète n’est bien reçu dans sa ville natale. De plus, je peux vous assurer qu’il y avait beaucoup de veuves en Israël à l’époque d’Élie, lorsque la pluie ne tomba pas durant trois ans et demi et qu’une grande famine sévit dans tout le pays. Pourtant Dieu n’envoya Élie chez aucune d’elles, mais seulement chez une veuve qui vivait à Sarepta, dans la région de Sidon. Il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël à l’époque du prophète Élisée ; pourtant aucun d’eux ne fut guéri, mais seulement Naaman le Syrien. » (Luc 4:24-27)
La prière et le service des plus pauvres travaillent à la paix du Royaume. L’unité à laquelle nous sommes appelés dans notre vie de chrétiens se construit patiemment. Claudio Betti qui nous a présenté l’association insistait bien sur le fait que des programmes et des comités sont peu de choses si on ne prend pas le temps et qu’on n’a pas la patience — toute divine ! — de tisser des liens d’amitié pour travailler à la guérison et la réconciliation de notre monde. C’est avec une patience analogue à la patience géologique que se rétablit l’unité du Royaume de Dieu. Et c’est pourquoi chaque geste, chaque goutte d’eau, chaque brise compte.
Les deux dernières semaines ont été riches de rencontres et d’expériences surprenantes ! J’ai été dès mon arrivée plongé dans le monde oecuménique romain en participant à la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens qui a lieu tous les ans depuis 1908, entre la fête de saint Pierre et la fête de la conversion de saint Paul dans l’hémisphère nord. Les lectures, les méditations et les prières de cette année étaient préparées par les églises du Moyen-Orient et invitaient à cheminer avec le texte de Matthieu 2:1-12 qui nous raconte la visite des Rois Mages à l’Enfant Jésus.
La présence du siège de l’Eglise catholique ainsi que l’antiquité et l’importance de cette ville dans la foi chrétienne font que beaucoup d’églises y sont présentes. Cette semaine, qui est l’occasion de beaucoup de célébrations et de rencontres œcuméniques, culmine avec les vêpres papales à Saint-Paul-hors-les-murs le jour de la conversion de l’apôtre des non-juifs.
Cette année au Centre Anglican cette semaine de prière était particulièrement animée car nous avons reçu un groupe d’étudiants de Nashotah House (un séminaire de l’Eglise épiscopale situé dans le Wisconsin) ainsi que des pèlerins venus via The Living Church Foundation. Cette semaine a été pour eux et pour nous au Centre Anglican un grand moment de rencontre, de convivialité et de découverte dans la prière et l’étude.
L’archevêque Ian Ernest et moi-même avons accompagné le groupe dans certaines de leurs visites. La première d’entre elles qui a inauguré cette semaine ensemble avait lieu à San Gregorio Magno al Celio. San Gregorio est un lieu important des relation entre l’Eglise catholique romain et la Communion des églises anglicanes. En effet c’est de là qu’en 697 que le Pape Grégoire le Grand a envoyé en mission Augustin. La mission d’Augustin (qui deviendra le premier archevêque de Cantorbéry) était de convertir les Anglo-Saxons. En 2016 pour marquer les cinquante ans de la première visite d’un archevêque de Cantorbéry à Rome depuis le XVIe siècle, phase très importante du rapprochement oecuménique entre anglicans et catholiques romains, l’archevêque de Cantorbéry Justin Welby et le Pape François ont envoyé envoyé en mission dix-neuf pairs d’évêques catholiques et anglicans pour être dans leurs juridiction des ferments d’unité et collaboration au service d’un même Seigneur.
C’était donc particulièrement émouvant, au soir de notre visite à San Gregorio de célébrer dans ce même sanctuaire une prière du soir selon le rite de l’Eglise épiscopale. Partager la même histoire, les mêmes lieux, la même mission et le même Seigneur nous unit malgré notre communion encore imparfaite. Nous avons plus en commun que la division institutionnelle de nos églises peut nous faire croire.