Sous l’égide de Sant’ Egidio

Pendant la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens nous avons rendu visite à plusieurs institutions et communautés catholiques où nous avons été très chaleureusement accueillis. 

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La visite qui m’a le plus marquée est celle que nous avons faite à la Communauté Sant’Egidio dans la paroisse de Santa Maria in Trastevere. La communauté de Sant’ Egidio est une œuvre de laïcs catholiques fondée en 1968 juste après le concile Vatican II qui a amorcé une grande période de renouveau et de ressourcement dans l’Eglise catholique romaine. 

Santa Maria in Trastevere où la principale communauté de Sant’ Egidio à Rome se retrouve pour prier.

Ses fondateurs à l’époque étaient des adolescents qui aspiraient à vivre dans une communauté sur le modèle des Actes des Apôtres et le ministère de Saint François d’Assise. Tous les soirs ils se réunissaient pour prier et aider les plus démunis durant les années d’après-guerre où de nombreux romains vivaient encore dans des bidonvilles. Par la suite la communauté s’est étendue jusqu’à devenir internationale et s’est diversifiée dans son travail d’assistance et de réconciliation résumé. On résume sa vocation à trois P :

  • Preghiera (la prière) : c’est l’œuvre principale de la communauté, fondée sur l’écoute de la parole de Dieu et l’intercession.
  • Poveri (les pauvres) : ils sont les frères, les sœurs et les amis de la communauté. Comme le définit leur site « L’amitié avec ceux qui sont dans le besoin – personnes âgées, sans domicile, migrants, personnes handicapées, détenus, enfants des rues et des périphéries – est un trait caractéristique de la vie de ceux qui participent à Sant’Egidio sur les différents continents. »
  • Pace (la paix) :  « La conscience que la guerre est la mère de toutes les pauvretés a conduit la Communauté à travailler pour la paix, en la protégeant là où elle est menacée, en aidant à la reconstruire, en facilitant le dialogue là où il s’est arrêté. Le travail pour la paix est vécu comme une responsabilité des chrétiens, et constitue une partie du service global à la réconciliation et à la fraternité qui se concrétise notamment dans l’engagement œcuménique et le dialogue interreligieux dans « l’esprit d’Assise ». »

Comme nous l’a expliqué avec humour et éloquence un des membres, faire partie de Saint’Egidio n’a rien d’un « ministère » mais c’est une « vocation », car ce qui compte en premier lieu c’est d’être « disponible et présent aux blessures et aux plaies de ce monde, quelles qu’elles soient ». C’est pour ça que la communauté ne s’est pas limitée à un seul type de service. Dans tous les cas, la communauté est rassemblée par la prière de manière quotidienne, le soir, dans un esprit de liberté et de libre participation qui témoigne de l’influence de la pensée libertaire des années 1960 et des mouvements de libération comme la communauté catholique de Solentiname, initiée par Ernesto Cardenal au Nicaragua.

Sant Egidio a pour vocation de se trouver à la marge de la société dans laquelle ils sont présents et où se trouvent toujours les plus vulnérables. La communauté agit pour rétablir leur santé et leur dignité, manifestant ainsi l’unité et la paix que Jesus-Christ offre à tous ceux qu’on a exclus ou rejetés. Jésus nous le rappelait dans l’évangile dimanche dernier :

« Je vous le déclare, c’est la vérité : aucun prophète n’est bien reçu dans sa ville natale. De plus, je peux vous assurer qu’il y avait beaucoup de veuves en Israël à l’époque d’Élie, lorsque la pluie ne tomba pas durant trois ans et demi et qu’une grande famine sévit dans tout le pays. Pourtant Dieu n’envoya Élie chez aucune d’elles, mais seulement chez une veuve qui vivait à Sarepta, dans la région de Sidon. Il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël à l’époque du prophète Élisée ; pourtant aucun d’eux ne fut guéri, mais seulement Naaman le Syrien. » (Luc 4:24-27)

Visite à Sant’ Egidio. Intervenant: Claudio Betti.

La prière et le service des plus pauvres travaillent à la paix du Royaume. L’unité à laquelle nous sommes appelés dans notre vie de chrétiens se construit patiemment. Claudio Betti qui nous a présenté l’association insistait bien sur le fait que des programmes et des comités sont peu de choses si on ne prend pas le temps et qu’on n’a pas la patience — toute divine ! — de tisser des liens d’amitié pour travailler à la guérison et la réconciliation de notre monde. C’est avec une patience analogue à la patience géologique que se rétablit l’unité du Royaume de Dieu. Et c’est pourquoi chaque geste, chaque goutte d’eau, chaque brise compte. 

La semaine dernière, afin de donner un peu de vie à ma chambre j’ai acheté ces jacinthes. La patience avec laquelle elles poussent tous les jours me rappelle le Royaume de Dieu.

Site de la communauté de Sant’ Egidio :

https://www.santegidio.org

Envoyés ensemble

Les deux dernières semaines ont été riches de rencontres et d’expériences surprenantes ! J’ai été dès mon arrivée plongé dans le monde oecuménique romain en participant à la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens qui a lieu tous les ans depuis 1908, entre la fête de saint Pierre et la fête de la conversion de saint Paul dans l’hémisphère nord. Les lectures, les méditations et les prières de cette année étaient préparées par les églises du Moyen-Orient et invitaient à cheminer avec le texte de Matthieu 2:1-12 qui nous raconte la visite des Rois Mages à l’Enfant Jésus. 

Photos de familles des rencontres entre les papes, les archevêques de Cantorbéry et les directeurs du Centre Anglican depuis 1966.

La présence du siège de l’Eglise catholique ainsi que l’antiquité et l’importance de cette ville dans la foi chrétienne font que beaucoup d’églises y sont présentes. Cette semaine, qui est l’occasion de beaucoup de célébrations et de rencontres œcuméniques, culmine avec les vêpres papales à Saint-Paul-hors-les-murs le jour de la conversion de l’apôtre des non-juifs. 

Groupe d’étudiants et de pèlerins. Au centre, de gauche à droite : le cardinal Mario Grech, l’archevêque Ian Ernest et l’évêque Gabriel Morales de Puerto Rico.

Cette année au Centre Anglican cette semaine de prière était particulièrement animée car nous avons reçu un groupe d’étudiants de Nashotah House (un séminaire de l’Eglise épiscopale situé dans le Wisconsin) ainsi que des pèlerins venus via The Living Church Foundation. Cette semaine a été pour eux et pour nous au Centre Anglican un grand moment de rencontre, de convivialité et de découverte dans la prière et l’étude. 

L’archevêque Ian Ernest et moi-même avons accompagné le groupe dans certaines de leurs visites. La première d’entre elles qui a inauguré cette semaine ensemble avait lieu à San Gregorio Magno al Celio. San Gregorio est un lieu important des relation entre l’Eglise catholique romain et la Communion des églises anglicanes. En effet c’est de là qu’en 697 que le Pape Grégoire le Grand a envoyé en mission Augustin. La mission d’Augustin (qui deviendra le premier archevêque de Cantorbéry) était de convertir les Anglo-Saxons. En 2016 pour marquer les cinquante ans de la première visite d’un archevêque de Cantorbéry à Rome depuis le XVIe siècle, phase très importante du rapprochement oecuménique entre anglicans et catholiques romains, l’archevêque de Cantorbéry Justin Welby et le Pape François ont envoyé envoyé en mission dix-neuf pairs d’évêques catholiques et anglicans pour être dans leurs juridiction des ferments d’unité et collaboration au service d’un même Seigneur.

Autel de saint Grégoire le Grand dans l’église San Gregorio Magno al Celio

C’était donc particulièrement émouvant, au soir de notre visite à San Gregorio de célébrer dans ce même sanctuaire une prière du soir selon le rite de l’Eglise épiscopale. Partager la même histoire, les mêmes lieux, la même mission et le même Seigneur nous unit malgré notre communion encore imparfaite. Nous avons plus en commun que la division institutionnelle de nos églises peut nous faire croire. 

Prière du soir à San Gregorio al Celio.

Genius loci, Corpus Christi

Voilà bientôt trois semaines que je suis arrivé à Rome et je n’ai encore rien posté ici. C’est vrai que  j’ai été très occupé, notamment au Centre Anglican, où j’ai aidé l’archevêque Ian Ernest et toute l’équipe à organiser la semaine de Prière pour l’unité des chrétiens. Le fait que j’étais très occupé n’est pourtant pas la seule raison pour laquelle je n’ai pas écrit. Les idées de postes ne manquent pas : l’accueil chaleureux que j’ai reçu du recteur de St. Paul, le Père Austin et de sa femme Maleah ; mon premier dimanche à St. Paul ou j’ai pu rencontrer certains paroissiens et participer à l’office en anglais à 10h30, puis à celui en espagnol à midi ; ou encore les nombreuses rencontres œcuméniques que j’ai faites au Centre Anglican où se rassemblent tous les jeudis matin un groupe de prière qui réunit des méthodistes, de presbytériens, des catholiques, des orthodoxes et bien sûr des anglicans !

Pourtant dans tout ça, dans ce nouveau lieu pour moi, dans ce nouveau contexte j’ai ressenti le besoin de prendre du temps pour écouter et connaître « l’esprit du lieu » avant d’écrire quoi que ce soit.

Marché de Trajan vers 100-110 ap. JC

Pour les Romains de l’Antiquité, le genius loci (esprit du lieu) était un être spirituel réel qui habitait et protégeait un lieu particulier. Avec la christianisation de la culture romaine, ces esprits ont aussi été convertis, leur patronage étant reconnu comme des protections angéliques, celle de la Vierge Marie ou des saints. Cette piété populaire, très incarnée est très présente à Rome, (et encore plus dans le sud de l’Italie m’a-t-on dit!)

Un exemple de « piété » populaire contemporaine dans les rues de Rome : Street Art représentant sainte Agnès. Martyrisée à l’âge de 12 ans, lors des persécutions de Dioclétien (304 ap. JC) la tradition rapporte que les flammes du bûcher sur lequel ses bourreaux avaient voulu la brûler ne l’auraient pas touchée.

À Rome toutes les églises sont sous le patronage d’un saint ou d’une sainte (ou de plusieurs!) dont la vie et l’obéissance au Christ a rassemblé la communauté chrétienne. La première et la plus importante de ces églises est la Basilique Saint Pierre de Rome construite autour de la tombe de saint Pierre sur la colline du Vatican. J’ai eu la chance la semaine dernière d’aller visiter les sous-sols de la basilique avec un groupe de pèlerins et d’étudiants américains de Nashotah House. Ce qui m’a frappé dans cette visite c’est la manière dont la sacralité de toute l’Eglise, celle de l’assemblée et de chacun des fidèles qui prend part au corps du Christ découle en un sens très physique du martyr de Pierre. Lorsque Pierre a été supplicié, crucifié tête en bas lors des persécutions de Néron contre les minorités religieuses et politiques, son corps a été enterré dans une simple tombe près de l’endroit où il a été exécuté, sur la colline du Vatican qui était déjà un cimetière. Dans les années qui ont suivi, les chrétiens de Rome lui ont construit un mausolée de même types sur les mausolées polythéistes, appelé trophée dont on peut encore voir les vestiges aujourd’hui. Avec Pierre le trophée païen à pris un sens nouveau, celui de la victoire sur la mort acquise par le Christ et à laquelle chacun de nous peut prendre part. L’Empereur Constantin puis les papes ont construit et reconstruit les autels successifs de la basilique juste autour et au-dessus de cette tombe, d’une manière qui ressemble un peu à des poupées russes ou aux différentes couches d’un oignon.

Vue en coupe de la tombe de saint Pierre et de l’autel de la Basilique

Ainsi aujourd’hui quand le Pape célèbre la messe à l’autel il le fait en présence et en continuité du corps martyrisé et sanctifié de Pierre qui est pour tous le sacrement d’une vie complètement offerte au Christ, comme le Christ lui-même s’est offert complètement pour nous. Plus qu’un esprit, c’est un même corps qui rassemble et sauve l’Église, le corps de saint Pierre qui est lui-même partie du corps du Christ qu’il a suivi jusqu’à la mort.

Vue de la Basilique Saint-Pierre de Rome avec le baldaquin au dessus de l’autel principal

L’église épiscopale Saint Paul de Rome, en ayant choisi comme saint patron l’apôtre des non-juifs, (aussi martyrisé à Rome !) s’inscrit dans cette continuité. Pour nous chrétiens « l’esprit du lieu » qui nous garde et nous fait grandir dans la connaissance de nous-mêmes et de Dieu est un Esprit incarné. C’est celui qui engendre le Christ et chacun de ses disciples. La vie du Christ, sa mort et sa résurrection et tous les témoignages des saints, transmis par la Bible et par la tradition nous donne vie dans leur sillage. C’est dans le corps du Christ que nous sommes recueillis et protégés, dans chaque communauté chrétienne qui nous accueille, où l’on peut trouver amour, réconfort, pardon. 

« Et incarnatus est » dans l’église Santa Maria della Vittoria, 2021. Cette oeuvre est le fruit de la collaboration d’une jeune artiste iranienne musulmane et de deux religieux catholiques.

Les lectures bibliques de ces dernières semaines nous parlent du fait d’habiter un lieu et un temps précis. Que fait Jésus pendant toutes ces années pendant lesquelles nous ne savons pas ce qu’il fait ? Ces années cachées qui vont de sa petite enfance à l’âge adulte où commencé son ministère ? Que fait-il de ses douze ans à ses trente ans ? Ces années de vie « cachée » du Christ sont je crois les années au cours duquel le Dieu qu’il est a grandi en humanité : non seulement parce qu’il a grandi en force et en maturité mais parce qu’il a fait en silence l’expérience de notre humanité et de toute sa création, de sa famille humaine, de son village de Galilée. Pendant sa vie cachée il a communié avec ce monde qui l’entourait sans le connaître pour que tout ce monde puisse être accueilli en Dieu.

Vue du Tibre et de la Basilique Saint Pierre de Rome depuis le Pont Saint-Ange

Rome est plein de la présence du Christ, visible ou invisible, et je suis joyeux de pouvoir vivre ici quelques temps. Quand le cœur vous manque, il suffit de lever les yeux pour voir une Madone à l’angle de la rue ou d’entrer dans une église. Les lieux et les rencontres prient avec vous et vous invitent à prier :

« Tout en résistant à la tendance qui consiste à restreindre la prière à des heures fixes, nous devons tendre à vivre d’une manière eucharistique en étant en tout temps et en tout lieu prêts à répondre à la présence divine. Nous devons rechercher les dons qui nous aident à prier sans cesse. L’Esprit nous offre le don de l’attention par laquelle nous discernons les signes de la présence et de l’action de Dieu dans la création, dans les autres et dans la trame de l’existence ordinaire.»


Règle de la Société de Saint Jean l’Évangéliste, « Prière et vie », chapitre 22.

Prière après le service du mardi au Centre Anglican durant la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. De droite à gauche : le cardinal Mario Grech, Secrétaire général du synode des évêques (catholique romain); l’archevêque Ian Ernest, Représentant de l’Archevêque de Cantorbéry à Rome; moi.

Retour aux sources

Avant d’aller à Rome où je suis attendu le 10 janvier j’ai fait un détour dans ma famille en Bretagne, en France. Cela me donne l’occasion de vous parler un peu du pays d’où je viens avant de vous emmener à Rome. 

La Bretagne est une région à l’identité culturelle assez distincte du reste de la France car elle a longtemps été un duché indépendant avant d’être annexée en 1532 à la France. Même si à cause de la pression de l’hégémonie culturelle parisienne, de la centralisation de l’Etat et de politiques d’assimilation culturelle forcées, le breton n’est plus parlé que par 200 000 personnes, la culture bretonne se distingue toujours en matière de musique, de cuisine et de convivialité. J’aurai sûrement l’occasion d’en reparler dans un autre blog.

Comme les cultures galloise ou irlandaise, la culture et la langue bretonnes sont d’origine celtiques, les seules sur le continent. Depuis plus de 2000 ans la culture celtique est influencée par d’autres cultures, à commencer par la culture romaine ! Le christianisme en Bretagne, très majoritairement catholique romain, est aussi marqué par cet héritage celtique. Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, nous avons fait à St. Esprit une vidéo de présentation sur le christianisme celtique (en anglais) où je parle  un peu de la façon dont cette manière d’être chrétien a marqué le paysage breton.

En plus du catholicisme, il y a aussi une petite présence protestante en Bretagne, principalement dans les villes comme Rennes. Souvent issues du Réveil protestant au XIXe siècle, ces communautés sont en général florissantes et rassemblent des chrétiens de toutes origines. L’anglicanisme est aussi représenté en Bretagne par une petite communauté d’expatriés anglais. Ils ont quelques églises, notamment à Dinard qui est une ancienne station balnéaire où les anglais viennent en touristes depuis les années 1830. Ces communautés anglicanes n’ont pour ainsi dire jamais eu d’ambition missionnaire et n’en ont pas plus aujourd’hui. Elles n’offrent que des services en anglais. 

Eglise anglicane St Barthélémy à Dinard

Tout cela pour dire que ma Bretagne d’origine est bien différente de Rome où je m’apprête à partir. Cette différence n’apparaît pas forcément quand on pense à l’Europe depuis les Etats-Unis mais témoigne néanmoins de la diversité du continent. Je pense que cela va transparaître dans mes expériences à Rome : je m’attends à y ressentir un sentiment de familiarité mais aussi à être déboussolé par des différences culturelles notables…

L’envoi : être un pont

Voilà ! l’heure du départ est arrivée, ou plutôt le temps de l’envoi. Vous trouverez ci-dessous le service à l’Eglise française du St. Esprit à New York au cours duquel j’ai été envoyé en mission. St. Esprit est ma paroisse d’origine, celle qui me sponsorise dans mon processus de discernement et me soutient toujours par ses prières et ses contributions. La saison de Noël est une belle saison pour quitter un lieu connu comme New York et commencer le voyage vers le lieu où Dieu et l’Eglise m’appellent à servir. C’est un peu le voyage du Christ qui a quitté les cieux pour visiter la terre, le voyage de celui qui est le véritable pont, l’humble réconciliation. 

Un de mes derniers soirs à New York, je suis allé me promener au bord de l’East River. C’est une promenade que j’apprécie beaucoup. L’East River n’étant pas une rivière mais un bras de mer, c’est le plus petit espace que je connaisse entre deux rives de l’Océan Atlantique, et à deux pas de St. Esprit ! Depuis que je connais St. Esprit et son quartier j’ai toujours trouvé cette promenade réconfortante. C’est le Rev. Nigel Massey, notre recteur qui me l’a faite découvrir un soir, après une longue journée de travail. Je peux passer de longues minutes à regarder ce bras de mer. Quand on est sur cette rive de l’East river, l’autre côté de l’Atlantique semble si proche et en même temps si difficile à atteindre. C’est du moins ce que suggère l’imposant pont de la 59th Street : s’il faut un pont aussi massif c’est bien que la traversée est difficile ! Cette promenade et cette vue incarnent bien ce qui m’agite, les tensions qui me traversent en tant que Français et Breton ayant vécu aux Etats-Unis et sur le point de retourner servir en Europe. Les tensions de ceux qui sont dans ce monde sans en être. La traversée n’a jamais été facile, pour personne. Cette expérience de la traversée je sais qu’elle ne m’appartient pas. Beaucoup de nos paroissiens à St. Esprit, et beaucoup de New Yorkais, qui ont laissé une partie d’eux, leur famille ou des souvenirs de l’autre côté d’un Océan, en Afrique ou en Asie, la partagent avec moi. C’est aussi ce gap qui est si présent et pourtant continuellement oublié aux Etats-Unis : le fait que beaucoup de ceux qui vivent à New York ont franchi, bon gré, mal gré, un océan pour en arriver là. Alors je contemple ce que je vois et je me dis que ce qui est impossible aux hommes n’est pas impossible à Dieu, et l’un des signes les plus puissants qu’il a donné à son peuple c’est justement celui d’avoir fait passer ses enfants d’une rive à l’autre rive, sans se noyer ni même être mouillés.

Quand je traverse l’Atlantique, ce n’est jamais de manière anodine. Il y a toujours quelque chose qui me traverse et cette fois plus que jamais, car je porte avec moi la voix et la mémoire de celles et ceux qui m’ont envoyé. Je ne sais pas encore comment sera l’autre rive car j’aborderai à un autre endroit qu’habituellement. Au cours de cette petite halte sur une des rives de l’East River, dans le vent, m’est revenu une chanson qui m’a beaucoup réconforté : 

Like a bridge over troubled water / Comme un pont sur une eau troublée

I will lay me down / Je m’étendrai 

Like a bridge over troubled water / Comme un pont sur une eau troublée

I will lay me down / Je m’étendrai

Sail on, silver girl / Bon vent, fille d’argent

Sail on by / Continue à voguer au large 

Your time has come to shine / Il est temps pour toi de briller

All your dreams are on their way / Tous tes rêves s’approchent

See how they shine / Regarde comme ils brillent

Oh if you need a friend / Oh si tu as besoin d’un ami

I’m sailing right behind / Je voguerais juste derrière

Like a bridge over troubled water / Comme un pont sur une eau troublée

I will ease your mind / J’apaiserai ton esprit

Like a bridge over troubled water / Comme un pont sur une eau troublée

I will ease your mind / J’apaiserai ton esprit

Simon & Garfunkel, Bridge Over Troubled Water