Premier sermon au Centre Anglican

L’archevêque Ian Ernest, directeur du Centre anglican, m’a invité à prêcher pour notre Eucharistie du mardi. Voici le texte du sermon et un lien vers la vidéo du service sur la page Facebook du Centre anglican.

https://fb.watch/bsHchXAZc1/
Premier sermon au Centre anglican ! 🙂

Mardi 22 février

Centre anglican, Rome

Jacques 4.1-10 ; Ps 55:7-24 ; Marc 9.30-37

Les lectures que nous venons d’entendre sont difficiles, car elles parlent de conflit, ce dont nous ne voulons généralement pas entendre parler dans l’église ou dans le monde. Ces lectures portent sur des attitudes concurrentes et des visions du monde antagonistes qui, d’un point de vue humain, semblent irréconciliables. Pour beaucoup de nos frères et sœurs à la marge de l’Église, et pour nous, entendre Jacques déclarer que « l’amitié avec le monde est inimitié avec Dieu» peut sembler très dur et un radicalement choquant. Voyez ces chrétiens qui n’aiment pas notre monde, qui rêvent juste du ciel et condamne tout ici-bas comme pécheur ! Il est vrai que la crise écologique moderne actuelle peut être attribuée à certains enseignements chrétiens qui ont été mal utilisés et mal interprétés. Les préjugés négatifs sur le monde dans certains milieux religieux chrétiens ont donné lieu à une forme d’opposition stérile entre le matériel et le spirituel et ont conduit à un rapport abusif à la création divine. Pour reprendre les mots de Gilbert Chesterton, on peut dire que la crise écologique dans laquelle nous vivons aujourd’hui est la conséquence des « vieilles vertus chrétiennes devenues folles ».

Cette incompréhension des enseignements chrétiens était déjà possible à l’époque de Jacques. Pour les contemporains de Jacques comme pour nous aujourd’hui, le cosmos en question faisait référence à l’univers, le lieu où nous vivons, notre biotope, peuplé de réalités physiques et spirituelles. Alors que l’effondrement écologique nous oblige à réaliser que nous abusons continuellement de la création que Dieu nous a confiée, l’affirmation selon laquelle «l’amitié avec le monde est inimitié avec Dieu» semble encore plus scandaleuse. Pourquoi avoir de l’amitié, de la compassion pour notre monde souffrant des conséquences du changement climatique pourrait faire de nous des ennemis de Dieu ? Comment pourriez-vous opposer à Dieu l’amitié avec ce monde, qui est notre environnement, le lieu où nous vivons, où nous nous réjouissons et souffrons ? Cela n’a vraiment aucun sens et c’est profondément révoltant. C’est non seulement absurde mais aussi contraire à l’esprit de l’Evangile et à l’enseignement de Jésus-Christ. Comment pouvons-nous alors comprendre ce que Jacques nous dit concernant l’amour rédempteur du Christ pour nous ? La réponse à cette question cruciale se trouve dans la manière dont Dieu agit dans ce monde et nous enjoint de participer à sa vie rédemptrice. L’Evangile que nous venons d’entendre nous offre un chemin de transformation qui n’est pas celui de la condamnation mais celui de la collaboration et de la communion.

L’attitude des disciples qui discutent sur la manière de savoir qui est le plus grand ne doit pas nous surprendre. C’est notre manière normale d’être et de penser lorsque nous nous comparons les uns aux autres, lorsque nous voyons des qualités ou des défauts que nous pensons reconnaître chez les autres ou en nous-mêmes. Suis-je meilleur ou pire que mon collègue ? Meilleur ou pire que mon ami ? Meilleur ou pire que ce frère ou cette sœur assis à côté de moi ? Cette attitude se retrouve dans tous les milieux où les humains vivent ensemble, et même lorsque nous sommes seuls, nous pensons toujours de cette façon. Vivre ensemble entre humains peut favoriser la compétition et l’envie : cela se passe à la frontière entre les nations, sur les marchés entre les entreprises, à l’école entre les élèves ou dans nos familles. Lorsque, comme les disciples, nous cherchons à nous juger, à nous évaluer, nous basons notre jugement sur des idées, des faits, des choses qui sont toujours de toutes petites parties de la réalité. Dans notre communion d’Églises, nous avons aussi tendance à rivaliser sur des questions de liturgie, de normes morales et d’une plus grande fidélité à la Bible ou à la tradition. Nous nous disputons souvent pour savoir qui est le plus grand. Nous pensons que nous pouvons juger l’ensemble, que nous pouvons nous juger et nous évaluer, en fondant notre jugement sur notre toute petite compréhension humaine d’une situation. Nous pensons que certaines analyses savamment assemblées peuvent être un argument contre un tout qu’on ne connaît jamais. Mais comment juger, quand, contrairement au Christ qui lit dans le cœur de ses disciples, nous ne connaissons pas le cœur de l’homme et la plénitude de l’amour de Dieu ?

L’attitude de Christ dans l’Evangile est totalement différente de cette attitude mondaine que je viens de décrire. Le Christ ne s’engage pas dans la querelle entre les disciples pour savoir qui est le plus grand. Il ne recueille pas les jugements,  il ne fait pas des dossiers comme les juges de ce monde. Il ne les hiérarchise pas, il ne les classe pas selon leur ancienneté, leurs compétences ou leurs dons. Quelle différence avec tout ce que nous faisons, tout ce que nous disons et tout ce que nous entendons les uns sur les autres chaque jour ! Au lieu de cela, le Christ s’écarte de la lutte de pouvoir en remontant à la source de tout pouvoir, c’est-à-dire sa propre autorité mise au service de tous. Alors que les disciples se jugent de manière anarchique et futile, rivalisent et commentent comme nous le faisons sur les réseaux sociaux, Jésus, comme le Seigneur dans le prophète Joël, s’assoit pour juger son peuple.

Le genre de pièce de théâtre qu’il joue quand il met un petit enfant parmi eux et l’embrasse est une leçon de choses. C’est un signe prophétique qui s’apparente au mime prophétique d’Ezéchiel ou aux happenings théâtraux et politiques d’aujourd’hui : Jésus-Christ ne nous enseigne pas principalement à travers des idées, des valeurs ou des catégories que nous pouvons facilement ramasser et utiliser comme des armes l’un envers l’autre. Il nous accueille dans son royaume en nous montrant qu’elle est l’ultime réalité divine qui se révèle elle-même : la dynamique du service. Les gestes prophétiques qu’il accomplit mettent en scène pour nous tous la réalité de la vie eucharistique, une vie ordonnée par le fait de recevoir et de donner, non par le jugement. Ce geste prophétique, qui est un jugement de Dieu, est une réponse à l’attitude divise de compétition des disciples : il nous enseigne que la seule manière par laquelle nous sommes appelés à rivaliser est en en étant plus désintéressés dans notre service les uns envers les autres, au point que nous devenons transparents à Dieu en s’offrant comme lui de façon désintéressée.

Le mystère de l’Eucharistie dans lequel nous allons entrer est la nourriture qui nous permet de grandir  et d’atteindre la pleine stature du Christ. Elle nous permet aujourd’hui de nous imprégner de la réalité du Royaume et de son sens du service à même ce monde. Tout comme ce petit enfant parmi les disciples, l’Eucharistie est un mystère silencieux, un tout petit et tout simple repas. C’est à peine un repas comme un enfant est à peine un homme ou une femme, mais si nous l’accueillons, nous sommes aussi accueillis dans la dynamique divine de l’amour, et devenons capables de la partager. Par ce petit morceau de pain (le corps de notre Seigneur), par cette coupe de vin (le sang de notre Seigneur), nous pouvons entrer dans l’ordre de grandeur du Royaume dans lequel la petitesse et le service nous font grandir et nous restaurent. De cet autel découle tout le mystère eucharistique de nos vies qui rend nos relations, nos ministères et notre vie quotidienne de disciples du Christ veritablement divines. L’Eucharistie est le mystère dans lequel notre monde brisé se réconcilie avec Dieu en Jésus-Christ.

Cette vie eucharistique est dynamiquement différente de ce qui a conduit à l’effondrement écologique actuel. La crise écologique actuelle est le fruit d’un esprit mondain d’intérêts égoïstes et de compétition et d’une profonde incompréhension de ce que signifie être serviteur de Dieu dans ce monde. Au contraire, se nourrir de l’Eucharistie est le remède à la compétition et à la division du monde qui conduit à sa destruction écologique et à notre propre mort. En se donnant à nous, et en traçant par là un chemin-retour vers lui, Dieu nous commande en Jésus-Christ d’ordonner nos vies selon les plus petits serviteurs de ce monde : « Qui veut être le premier doit être le dernier de tous et le serviteur de tous. ‘ Il s’est fait le serviteur de tous pour que nous puissions nous réconcilier avec lui. Pour ce faire, il a osé s’offrir à nous sous les espèces du pain et du vin, et être sacrifié comme l’Agneau de Dieu. Comme il l’a osé, nous pouvons aussi oser voir le « petit enfant » d’aujourd’hui dans nos frères et sœurs silencieux : tous les êtres humains et non-humain qui n’ont pas voix au chapitre.  Les minéraux, les plantes, les animaux sont aussi notre propre enfance dans la grande histoire de l’évolution par laquelle Dieu se révèle. Nous sommes invités, à cet autel et dans nos vies à les accueillir en son nom pour l’accueillir lui et le Père qui l’a envoyé. Être disciples du Christ aujourd’hui, c’est se rappeler l’urgence d’arrêter de rivaliser les uns avec les autres. Nous sommes plutôt invités à laisser nos vies être transforée en une vie eucharistique. Cela implique un engagement fort et concret au service écologique dans un esprit de fraternité. De ce service commun dépend la crédibilité de notre témoignage chrétien aux yeux de ceux à qui le Christ nous envoie comme ses disciples.

Un chat romain.

2 réponses sur “Premier sermon au Centre Anglican”

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